La surprenante conclusion de l’enseignant

Les derniers mots de Denis à l’issue de l’étude du Très-Bas font rire les élèves. Certains vont même jusqu’à répéter à leurs voisins, incrédules, la conclusion pour la moins curieuse de la part d’un enseignant dans un cadre scolaire d’apprentissage :

‘« Le texte va donc maintenant se refermer, provisoirement, car toujours à partir du moment où on fait quelque chose, il n’y a rien de concrètement de fermé. Il se referme donc sur certaines de ses séductions, certains de ses mystères, sur son obscurité aussi peut-être. Reste un peu d’obscurité malgré tout ce que nous avons pu en dire.
Et puis ce qu’on peut en dire, ma foi, parfois est loin d’éclairer le texte mais l’obscurcir, c’est bien connu, c’est peut-être pour recevoir le texte pas plus mal. Bien comment conclure autrement que de dire que même si on n’a rien compris, c’est pas grave, c’est peut-être même le moins grave . »’

L’amusement des élèves porte sur le message paradoxal et tout à fait inattendu dans un cadre scolaire :

Elève 1: qu’est-ce qu’il dit ?
Elève2 : que si on n’a rien compris, c’est pas grave !
Elèves 1 : tant mieux (rires) 

La conclusion de l’enseignant montre qu’il aura constamment tenté de faire tenir ensemble deux contraintes : la nécessité du cours de français de traiter ce texte comme un autre afin de faire acquérir aux élèves tout à la fois des outils d’analyse textuelle et une idée du message de l’auteur ; l’envie de faire vivre aux élèves une expérience esthétique prise dans l’émotion, pour laquelle les propos de Bobin (ne pas chercher à expliquer, ne pas chercher à convaincre, rester dans la séduction et la compréhension intuitive, par association d’images poétiques...) sont défendus par l’enseignant C’est pourquoi il est apparu constamment à Denis que l’étude en classe de seconde du Très-Bas était un exercice particulièrement périlleux. La difficulté ne constituait pas une surprise, elle était prévue et annoncée lors de l’entretien précédant la série de cours. Elle tient en fait à une la volonté animant l’enseignant lors de ses cours, conséquence de son appropriation du message de Bobin : s’il est dans la logique d’explication de texte, il tue la part magique de l’effet de texte sur le lecteur ; s’il est dans l’émotion, il ne peut plus faire d’explication de texte et doit laisser la « séduction » opérer. D’où sa conclusion qui consiste à dire que le texte, malgré les explications qui ont été trouvées en classe, garde sa part « obscure » : « c’est peut-être pour recevoir le texte pas plus mal ».

Dans le même ordre d’idée, l’enseignant nous confie qu’il a décidé de n’inclure aucun sujet sur Le Très-Bas dans l’évaluation prévue. La raison principale en est une volonté de respect de la parole de Bobin : proposer un commentaire de texte, une interrogation écrite serait en quelque sorte la dénaturer, aller à l’encontre de sa fonction première, ce qui obligerait les élèves à n’avoir envers ce texte qu’un rapport scolaire.

L’expérience de l’étude du Très-Bas en classe est ainsi une expérience des limites pour Denis. Constamment, il sort des cadres et sentiers battus de l’analyse littéraire pour rentrer soit dans une discussion sur le contenu idéologique du texte, soit pour abdiquer l’explication au profit de l’émotion. Une double position difficilement tenable au point qu’il s’avoue relativement mécontent de son travail à la fin de la série de cours. Selon lui, il n’a pas complètement réussi à faire passer tout ce qu’il aurait voulu concernant ce texte « magnifique ». Constamment, il s’est retrouvé à faire autre chose que de l’explication littéraire, un peu comme forcé par le texte de traiter d’une manière spéciale un objet littéraire de composition et de facture détonante par rapport à son ordinaire littéraire. Il avoue également avoir été particulièrement étonné des réactions d’incompréhension manifestées par les élèves. Trouvant pour lui-même ce texte « simple », rempli « d’évidences », il a eu tout à la fois du mal à anticiper ces incompréhensions, et à les contrecarrer.

Car c’est le point commun dans les entretiens administrés aux onze lycéens qui ont accepté de participer à l’enquête. Que leur réception du Très-Bas ait été positive ou négative, tous mettent en avant les difficultés à lire et à comprendre les propos de l’écrivain. Si l’on se réfère aux premières impressions de lecture, on observe qu’il n’est pas très difficile de classer les lycéens en fonction de leurs déclarations. En effet, les termes pour relater ces impressions sont relativement peu nombreux et portent sur quelques expressions redondantes d’un lycéen à l’autre. Il y a ceux qui « ont bien aimé », et ceux qui « n’ont pas du tout aimé ». « J’ai bien aimé » et « j’ai détesté » sont ainsi les termes les plus récurrents pour qualifier d’une manière générale leur appréhension du Très-Bas. On note toutefois la présence de quelques expressions plus ambivalentes, où certains lycéens disent parfois avoir bien aimé, et parfois n’avoir pas aimé, et ce, dans le même entretien. Le tableau de la page suivante reprend ces impressions générales en proposant trois catégories : bonne ; mauvaise, ambivalente.