Conclusion du chapitre

Hormis les lycéens, les caractéristiques sociales, culturelles, scolaires, économiques, de notre population font que les deux modes d’appropriations sont susceptibles d’être conjointement mis en oeuvre pour la lecture des textes de Bobin. Le fait qu’on ne se situe pas dans un rapport au texte purement éthico-pratique, pour lequel le lecteur ancre ce qu’il lit dans une expérience ordinaire seule, ni dans un rapport au texte analytique pour lequel le sens se construit par référence à la « seule réalité textuelle », invite à questionner la relation dialectique s’instaurant entre les connaissances objectivées et l’expérience ordinaire. La composition sociologique de notre population interdit d’imaginer qu’il s’agit de deux rapports distinctifs et sans liens entre eux.

Si pour certains lecteurs peu familiers de la lecture analytique, c’est la référence à l’expérience ordinaire qui prime, une objection empêche d’imaginer que c’est la seule lecture par références intertextuelles qui fait sens pour un lecteur familier de la lecture analytique : on ne peut présupposer a priori de l’usage unique d’un mode d’appropriation des textes. Lecture pragmatique et lecture analytique peuvent se côtoyer, se conjuguer chez un même lecteur. De récents travaux sur la lecture montrent qu’au moment du lycée, la mixité des modes d’appropriation est plutôt la règle, et que par la suite (après le lycée), celle-ci reste d’actualité pour les enquêtés. C. Baudelot, C. Detrez montrent ainsi que l’acquisition de repères dans l’espace littéraire, constitue des bribes de lecture analytique, mobilisables de diverses manières dans la carrière du lecteur.

‘« L’école suscite des vocations de lecteurs, mais elle arme aussi le commun des lecteurs de repères et de compétences symboliques. Dès lors, même si ceux-ci ne deviennent pas dans le court terme des lecteurs cultivés, ils sont néanmoins dotés des moyens de le devenir. En inculquant l’idée de la hiérarchisation de l’espace littéraire, l’école rend possible, dans le long terme, l’évolution des pratiques de lecteurs. » 392

Dans le cas de notre population, dont on postule une mixité des modes d’appropriation, le partage entre les références aux savoirs objectivés et/ou à l’expérience ordinaire est au centre du questionnement. Plusieurs cas de figure sont à envisager :

La liaison entre connaissances objectivées et expérience ordinaire est en partie suggérée par la nature des écrits de Bobin : l’entrée thématique de son oeuvre montre une inscription dans les registres philosophique autant que littéraire de sa production. De ce fait, pour tous les lecteurs ayant eu une lecture repérant ces thématiques, questionner leur mode d’appropriation revient à se demander sous quel(s) angle(s) un lecteur envisage ces schèmes d’interprétation.

Un de nos objectifs dans les prochains chapitres consacrés à l’élaboration de portraits de lecteurs est la discussion au regard du matériau des points soumis à la critique. Il s’agira alors de repérer les modes d’appropriation à l’oeuvre lors de la lecture des textes de Bobin afin de voir comment ils se conjuguent pour construire une expérience de lecture et s’ils transforment en retour l’expérience ordinaire des lecteurs.

Notes
392.

C. Baudelot, M. Cartier, C. Detrez, Et pourtant ils lisent..., op.cit., p. 232