Conclusion de la section I

Si l’on effectue une comparaison inter-portraits, il est intéressant d’observer que ce qui regroupe les quatre premiers cas va au-delà du seul goût affiché pour les textes de Bobin. Les enquêtés focalisent tous leur attention sur un petit nombre de thèmes parmi lesquels le plus récurrent paraît être la valorisation de leur quotidien. Le récit de leur expérience de réception met en avant une convergence des usages et fonctions des textes de Bobin vers l’attente de formules visant à les « aider à vivre » au moyen de la résignation. Les états, ou situations pour lesquelles les enquêtées éprouvent de la souffrance vont également dans le même sens de l’une à l’autre. Il s’agit essentiellement de conditions d’existence, situées dans un ensemble de rapports à : rapport aux autres (se sentir « à contre-courant » pour Odette), rapport aux conditions matérielles d’existence (ne pas avoir beaucoup d’argent pour Julie et Céline), et rapport au métier (ne pas aimer sa profession pour Odette, se sentir dans un statut précaire et inscrit dans un avenir incertain pour Céline et Julie). Il apparaît que pour ces thématiques, les formules de Bobin leur permettent de faire « nécessité vertu ». Les effets des textes sont également orientés vers un petit nombre de sensations agréables, relatées en termes similaires pour chacune, et mettant en avant des sentiments « d’apaisement », de « bien-être », de « douceur ». Du point de vue des compétences lectorales, la présentation des formations et carrières de lecteurs met en évidence une diversité toute relative : des formations dans le supérieur plutôt littéraires (histoire de l’art, Efap, l’Ecole Normale, la classe préparatoire littéraire...) ne dépassant pas le second cycle ; un goût pour la lecture manifesté dès l’enfance. Vont diverger de l’une à l’autre les modes de traitement du livre, allant du seul emprunt pour John et Julie à l’achat systématique pour Odette et Céline, montrant ainsi que ces indicateurs ne peuvent fonctionner de manière isolée lorsqu’il s’agit de rendre compte d’expériences de réception. Il ne suffit pas en effet d’observer par quels moyens les livres parviennent au lecteur, ni comment ils sont rangés dans la maison pour en déduire les manières dont celui-ci investit et s’approprie ces objets. La liaison n’est ainsi pas mécanique entre le fait, par exemple, de posséder une bibliothèque fournie à domicile et de mettre en place un mode d’appropriation analytique et/ou esthétique des textes. Le cas d’Odette, qui bien qu’ayant « des livres partout dans la maison » ne mobilise au cours des entretiens aucun des outils d’analyse littéraire pour relater ses lectures ou expliquer ses goûts est à ce propos éclairant.