Conclusion du chapitre

Ces trois portraits présentent les expériences de réception de lecteurs professionnellement impliqués dans le champ littéraire pour deux d’entre eux, dans le champ religieux pour le troisième. Leur point commun réside dans l’impossibilité de dissocier complètement dans leur discours ce qui relève de leur appréhension professionnelle de leur appréhension « ordinaire » dans leurs pratiques de lecture des textes de Bobin. Il est remarquable de constater que si les trois enquêtés relatent en terme d’émotion leur expérience de lecture des textes de Bobin, ce n’est pas tant pour la rapporter à ce qu’ils ont éprouvé eux-même, qu’à ce qu’ils pensent que leurs clients (pour Madeleine), lecteurs (pour Thierry), ou encore paroissiens (pour Bertrand), ressentiront. A cette émotion sont également associés un effet et une fonction de cette lecture : ces enquêtés pensent que les textes de Bobin peuvent procurer un certain bien-être, voire une aide, et c’est la raison pour laquelle Madeleine et Bertrand conseillent certains textes de Bobin autour d’eux. Contrairement aux lecteurs dont les portraits ont été regroupés dans le chapitre précédent, ces trois enquêtés ne s’étendent dans leurs discours ni sur les impressions de révélation, ni sur celles de bien-être ressentis pendant la lecture des textes. Sont également absents l’effet de surprise devant ce style d’écriture ainsi que l’impression de lire « exactement ce qu’on pense à l’intérieur » pour reprendre les termes des enquêtés présentés dans le chapitre précédent. Tout ceci amène à considérer que pour ces professionnels des champs littéraires ou religieux, l’expérience de lecture fondée sur l’émotion ne constitue pas une découverte effectuée au seul moyen des textes de Bobin. Il semble davantage s’agir d’une forme d’expérience artistique ou religieuse (mystique ou encore spirituelle) connues par ces enquêtés et dont ils reconnaissent dans les textes de Bobin les effets possibles auprès de lecteurs. Que Madeleine « conseille » un texte de Bobin « à une dame qui semblait vraiment noyée », que Bertrand offre La Plus que vive à deux personnes « se trouvant dans des situations semblables » montre ainsi qu’en plus de reconnaître le registre rhétorique des textes, ces enquêtés l’associe à des fonctions ou effets d’aide au lecteur. Définir plus précisément en quoi consiste cette aide qui est selon nous de nature symbolique constituera l’objectif du chapitre X. Il reste que ces portraits montrent une institutionnalisation de l’émotion comme forme d’expérience littéraire, artistique ou religieuse (ou mystique, ou spirituelle), qui loin de n’être qu’un élan secret du coeur ou le fait d’une intériorité absolument privée et incommunicable, se trouve connu, repéré comme tel et « utilisé » par ces enquêtés dans leur pratique professionnelle ordinaire.