Chapitre IX : Des expériences malheureuses de réception

Dans ce dernier chapitre consacré à la présentation de portraits d’expériences de réception, nous avons réuni les cas de deux enquêtés qui ne s’accordent que sur un seul point : leur énervement à l’encontre des textes de Bobin. Tous deux relatent en effet une expérience de réception malheureuse à propos du même texte, Le Très-Bas, qui est d’ailleurs pratiquement le seul qu’ils ont essayé de lire. Mais les raisons pour lesquelles cette expérience est qualifiée de négative varie d’un enquêté à l’autre, et il est remarquable de constater que c’est essentiellement le mode d’appropriation des textes qui différencient les deux lecteurs. Tandis que Léon, soixante-cinq ans, ingénieur à la retraite, mobilise un mode d’appropriation éthico-pratique (section I), Didier, trente-ans, employé de librairie à temps partiel et étudiant par correspondance en psychologie, mobilise quant à lui un mode d’appropriation à dominante analytique (section II). Malgré les considérations relativement différentes qui en découlent pour ce qui concernent l’interprétation du Très-Bas et l’image de Bobin, les deux enquêtés se rejoignent bien sur un effet de lecture : un extrême agacement qui les a conduit à refuser de continuer à lire les textes de cet écrivain et à se considérer comme faisant partie de son lectorat.

Nous avons souligné dans l’introduction à la deuxième partie de la thèse, la difficulté avec laquelle nous avons eu à composer pour rencontrer des enquêtés relatant en termes négatifs leur expérience de réception des textes de Bobin. Leur propos sont pourtant particulièrement éclairant en ce qu’ils mettent en quelque sorte en évidence les limites de la réception des textes de Bobin en montrant qu’ils ne conduisent pas à une unanimité positive auprès des lecteurs. Mais également en ce qu’ils dévoilent certains des procédés grâce auxquels les lecteurs parviennent à constituer un jugement à propos d’une oeuvre littéraire. Nous pensons notamment au rôle du hors-texte, qui a parfois tendance à être difficile à évaluer auprès de lecteurs heureux (parce qu’il disparaît au profit d’un discours sur la seule signification du texte). Avec des lecteurs malheureux, qui n’ont en général que peu lu l’auteur qu’ils n’apprécient pas, on observe plus aisément la façon dont les éléments textuels et extra-textuels se sont combinés pour leur offrir des informations leur permettant de se positionner. Dans la troisième section de ce chapitre, nous nous attardons ainsi à l’analyse de l’incidence du hors-texte dans la construction des expériences de réception.