CHAPITRE X : La fonction symbolique des textes littéraires

Introduction

Il s’agit dans ce dernier chapitre de prendre en considération les propos de l’ensemble des enquêtés et d’étudier trois thèmes : les effets des textes de Bobin ; leurs fonctions et usages ; la légitimité de la lecture et des textes de Bobin selon les milieux sociaux. Trois des cinq traits pertinents retenus pour la fabrication des portraits se trouvent ainsi mobilisés pour une analyse comparative. L’objectif n’est plus de tenter de reconstruire des expériences de réception entendues comme mixtes particuliers de traits pertinents, mais plutôt de balayer l’ensemble de la population selon ces entrées, de manière à questionner la redondance possible des effets, des fonctions ou usages des textes de Bobin d’un lecteur à l’autre. De manière également à mettre en évidence les conséquences d’une variation de la légitimité de la lecture et des textes de Bobin selon les milieux sociaux. La récurrence de certaines formes de ces traits a déjà été observée lors de l’analyse par portraits : quel que soit le thème, nous n’obtenons pas une quinzaine réponses totalement divergentes d’un enquêté à l’autre. Les effets des textes s’orientent ainsi vers trois ou quatre formes (se sentir révélé et se reconnaître dans les textes, éprouver de la colère, être indifférent). Il en va de même pour les usages ou fonction des textes : certains lecteurs ont une utilisation professionnelle des textes de Bobin (libraires, prêtres) là où d’autres y voient une « littérature de survie » ainsi que le résume Catherine (portrait n°6). De même, chaque enquêté n’évolue pas dans des milieux sociaux dont les légitimités respectives de la lecture et de l’oeuvre de Bobin sont partout identiques. Il s’agit d’observer pour qui et de quelle manière se dire « lecteur » et « lecteur de Bobin » a du sens et confère de la légitimité.

Mettre en place un tel regard de synthèse thématique consiste en une seconde manière (complémentaire à la première, selon nous) d’avancer dans la problématique de la réception. Les portraits montrent combien l’usage de cette méthode peut rendre compte avec pertinence des formes variées d’expériences de réception faites avec les textes de Bobin. Par delà ces expériences singulières, la question se pose de la possibilité d’en dégager quelques formes récurrentes. Cette interrogation est subséquente à l’utilisation des théories de la réception : si l’expérience de réception consiste d’une part en une navigation (un « braconnage », selon de Certeau) entre injonction et appropriation, et que d’autre part, ces deux éléments sont bornés par les compétences, savoir-faire et dispositions du lecteur, alors cela signifie que tout n’est pas également probable en terme de réception. Il devrait y avoir certaines expériences plus fréquentes que d’autres, peut-être parce qu’elles se plient plus « fidèlement » aux injonctions des textes. Ce sont toutes les questions relatives au « lecteur implicite » chez Iser, mais également aux adéquations entre une oeuvre et un public en raison de « codes » communs de perception, qui se trouvent ici mobilisées. Nous avons bien évidemment eu l’occasion (lors de l’introduction générale) de souligner les raisons pour lesquelles la piste du code commun était dangereuse et ne pouvait être retenue dans des travaux de ce genre. Il faut pourtant observer qu’en présence d’un produit culturel, tout le monde n’est logé à la même enseigne : en terme d’accès à l’oeuvre, de compétences à répondre aux injonctions qu’elle porte... Les portraits ont ainsi souligné la diversité des expériences de réception résultant de la confrontation entre l’oeuvre de Bobin et des lecteurs. Cela n’interdit pas de poser la question de l’existence de formes redondantes et/ou inopinées de réception, ne serait-ce qu’en les rapportant aux injonctions des textes mises en évidence dans la première partie de ce travail.

De plus, employer, ainsi que nous l’avons fait, le terme d’ethos, en expliquant de quelles manières l’ethos des textes se confrontait avec l’ethos des lecteurs introduit implicitement un rapport aux milieux sociaux, aux dispositions formées en fonction des conditions objectives d’existence, qui exige de pousser plus avant la question. Les ethos ne sont pas propres aux individus pris isolément mais représentent justement ce que ceux-ci partagent à l’intérieur d’un groupe social. Envisager dès lors des formes d’expériences de réception proches selon certaines caractéristiques est une conséquence des outils et du mode de raisonnement que nous avons mobilisés jusqu’ici.

Soulever ces questions ne signifie pas que nous ayons les moyens d’y répondre : l’analyse que nous proposons s’inscrit dans un cadre résolument qualitatif, là où les interrogations inciteraient davantage à mobiliser un mode de traitement quantitatif. Il reste que raisonner sur quatorze cas ou sur cinquante n’est pas la même chose du point de vue des comparaisons et qu’il semble intéressant de prendre en compte l’ensemble de la population pour dégager quelques pistes de réflexion dans cette direction.

Précisons enfin que ce ne sont pas des expériences de réception qui vont être comparées (il faudrait pour cela fabriquer des portraits pour chaque lecteur), mais des réponses individuelles à trois traits pertinents. Nous pensons effectivement qu’observer des récurrences dans les effets des textes (section I), les usages et fonctions de ceux-ci (section II) et la légitimité de la lecture et de l’oeuvre de Bobin selon les milieux sociaux (section III) constitue déjà une ébauche de réponse à cette problématique.