Conclusion du chapitre

Un modèle d’expérience de réception semble se dégager de l’étude de la combinaison de trois traits pertinents, pour les cas de réception positive des textes de Bobin.

Cela concerne ce qui se rattache à la « rencontre heureuse » : cet effet de réception comprend des impressions de « révélation », de « bien-être », « d’apaisement », des sentiments de « se lire dans le texte », de « se révéler à soi-même » et d’avoir fait une « rencontre » avec le texte. A cet effet peuvent se combiner des usages ou fonctions des textes orientés vers une aide symbolique : la lecture des textes de Bobin consiste alors pour une part en une recherche de « petites phrases qui font du bien », de « pansements de l’âme », dont la fonction principale va consister en une requalification du quotidien. Cet effet et ces fonctions ou usages des textes sont plus le fait d’individus évoluant dans des milieux (professionnels notamment) où la lecture littéraire et l’oeuvre de Bobin ont une légitimité suffisamment établie pour qu’ils puissent avoir des échanges sur ces thèmes. Cela correspond dans notre population plutôt aux enquêtés enseignants, intervenants dans le champ artistique, étudiants, membres du clergé. La formation est plutôt littéraire et supérieure.

Dans les autres discours positifs de réception, on a pu repérer un terme redondant, sans pour autant en faire un modèle d’expérience de réception. Il s’agit de la « lecture intéressante » : il regroupe des lecteurs qui relatent en terme de connaissances sur le monde, d’enrichissement de leur culture personnelle les effets positifs de leur lecture des textes de Bobin. Il s’agit plutôt de lecteur (dans notre population) de formation scientifico-technique dans le supérieur.

« Révélation » ou « rencontre heureuse » et « lecture intéressante » paraissent ainsi correspondre à des formes d’expériences de réception des textes qui renvoient à des compétences de lecteurs différentes : d’une part à une culture de l’expérience littéraire (et peut-être même plus généralement artistique) fondée sur l’émotion, et d’un culture également de l’intériorité ; d’autre part à une culture de l’accroissement des connaissances sur le monde (plutôt que sur soi). Ces deux formes correspondent peut-être à des traditions intellectuelles distinctes relevant soit de l’émotion soit de la raison. Au regard du nombre important d’enquêté se référant à la première forme d’expérience de réception on peut dire que, dans la querelle opposant movere et docere, il semble que la victoire n’appartiennent pas aussi radicalement à l’administration de la preuve au moyen de la persuasion. Convaincre au moyen d’une émotion qui submerge tout sur son passage reste un procédé employé dans la littérature, reconnu et apprécié des lecteurs contemporains. Ce qui conforte tout à fait les propositions faites par Francis Goyet dans Le Sublime du lieu commun 424. A la littérature et à la poésie reste le pouvoir de la séduction dont les armes sont le movere et dont les effets en terme de réception (dont notamment l’aide symbolique) auprès des lecteurs de Bobin en attestent de la vitalité et l’actualité.

Notes
424.

F. Goyet, Le Sublime du « lieu commun », L’invention rhétorique dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, Honoré Champion, 1996