DES DIFFERENCES DU RYTHME D’ACQUISITION ENTRE LES POPULATIONS

S’il existe une identité fondamentale dans les procédures et les réponses entre les populations hispanophones et francophones, il existe néanmoins également des différences provoquées par la pression que l’objet exerce sur le sujet, même si les différences que nous sommes parvenus à apprécier se trouvent essentiellement au niveau du rythme.

Alors que la population francophone semble avancer plus rapidement dans sa conceptualisation et utilisation des aspects orthographiques, de telle sorte que les enfants plus petits ont des conceptualisations plus avancées, la population hispanophone semble reculer dans le temps son apprentissage de l’orthographe.

A notre avis, ce phénomène répond tant à des facteurs intrinsèques liés à la structure des langues écrites qu’à des facteurs extrinsèques liés à la conception et à l’attitude sociale et scolaire envers l'orthographe, ainsi qu’à des différences plus générales entre les deux sociétés et les deux systèmes scolaires. Etant donné que nous n’avons pas de données en ce qui concerne les différences extrinsèques sus mentionnées, nous nous concentrerons sur les différences intrinsèques

En français il existe une morphologie écrite réellement indépendante de la morphologie orale, dans certains cas relativement fréquents. Il existe aussi des séries très grandes et fréquentes d’oppositions logographiques qui doivent être distinguées. Si au cours de son acquisition l’enfant “viole” cette morphologie et cette logographie, le résultat de cette violation peut avoir pour conséquences des textes écrits avec une apparence graphique très différente de l’apparence conventionnelle, et plus difficilement interprétable pour un adulte (imaginons une composition enfantine sur la maman (mère) écrite mer, ou vice-versa; ou bien, imaginons un texte quelconque qui n’oppose pas a vs à, ou il vole à ils volent).

Par contre, en espagnol la complexité graphèmatique que l’on trouve en français n’existe pas. Cette complexité inclut des groupements graphiques tels que o, au, eau, -ent, e muet, doubles lettres, etc., qui, en plus d’être graphiquement complexes, sont très fréquents et nécessaires à chaque instant (en production comme pour l’interprétation). La violation de l’orthographe en espagnol, bien qu’elle crée une distance au niveau de l’image graphique du mot par rapport à son image conventionnelle, n’est jamais (ou plutôt pour être plus précis, est rarement) de la taillede la distance qui se crée dans les productions non orthographiques en français.

Ce phénomène rend vraiment nécessaire la considération de l’orthographe dans les délais les plus brefs, étant donné que la pression interne et externe est beaucoup plus forte. Cette pression de l’objet oblige à une thématisation beaucoup plus précoce, qui provoque elle-même un processus de réflexion et d’usage dès le plus jeune âge. Ce processus semble être qualitativement le même que celui que suivent les enfants hispanophones, mais réparti sur une tranche d’âge qui commence avant mais qui s’étend peut-être jusqu’à après, du fait de la quantité et de la complexité des phénomènes impliqués. Si on l’observe en détails, cette interprétation est contraire à ce à quoi l’on s’attendait, étant donné que dans les systèmes complexes, on s’attend à ce que le processus d’apprentissage prenne un temps sensiblement plus long et vice-versa. Il se pourrait cependant qu’il se passe le contraire : à pression de l’objet plus grande, meilleure mobilisation du sujet, ce qui se traduit par une thématisation plus précoce et un processus plus accéléré.

Nous insistons sur le fait que les facteurs externes doivent aussi jouer un rôle important et qu’ils mériteraient une étude particulière, qui n’a cependant pas été incluse dans notre objectif.