1.2 De l’histoire des langues romanes

On estime à 3 500 ans le délai temporel entre l’indo-européen et l’avènement des LR (Ruhlen, 1987). Ensuite, on estime à encore 1 500 ans le temps qui nous sépare de l’état présent de ces langues à partir du moment où le latin vulgaire cède la place aux proto-langues romanes. Néanmoins, ces estimations sont sujettes à de nombreuses controverses.

Il en va de même pour ce qui est du moment de naissance des LR. Ainsi, le latin vulgaire (sermo vulgaris) qui est le véritable parent des LR, est généralement considéré comme langue vivante jusqu’à environ 600 après JC. Un nombre important d’attestations de particularismes locaux situent la naissance des LR entre 600 et 800 après JC et plus précisément, la chronologie classique de ces événements situe la dislocation territoriale et linguistique du latin aux alentours du 4ème ou 5ème siècle après JC. Enfin, on parle véritablement des LR au 7ème siècle (Herman, 1985). Un siècle après la naissance de la linguistique romane, ces estimations n’en sont pas moins approximatives et discutables. Elles ont fait couler beaucoup d’encre autour de tous les facteurs responsables de ce débat chronologique, qu’il s’agisse de la date de la romanisation (Gröber, 1884-1892), de la structure de l’élément italique disséminé dans les provinces de l’Empire Roman (Mohl, 1899 cité par Hermann, 1985), de l’intensité de la romanisation (Alonso, 1946), des facteurs politiques et culturels (Coseriu, 1954), des différences régionales attestées par les textes, pour ne citer que quelques aspects du problème, fidèlement mises en évidence par Herman, 1985, pp. 18) :

‘’Faut-il rappeler les discussions interminables auxquelles se livrent souvent de fort éminents linguistes au sujet de la dénomination dont il convient de revêtir l’ensemble des traits linguistiques qui annoncent et marquent l’infléchissement de la structure latine vers les futures structures romanes, la question à la fois oiseuse et pénible de ce malheureux terme de latin vulgaire qui ne cesse de susciter des passions dignes de meilleurs causes.’’

L’approximation même entraîne de sérieux problèmes chronologiques, dans la mesure où la partie orientale de l’Empire Romain a été romanisée tardivement (la conquête définitive de la Dacie nord-danubienne se situe en 106 après JC), et rapidement abandonnée en 271 après JC, lors de la retraite de l’administration romaine au sud du Danube, en suivant les ordres de l’empereur Aurélien, incapable d’assurer l’unité du monde romain jusqu’à ces territoires lointains. Cependant, l’unité de l’Empire, qui semble avoir été assurée par des contacts divers entre ses différentes parties et soudée par le christianisme, est généralement datée au début du 5ème siècle, lorsqu’en 395 après JC, l’Empire Romain est divisé dans ses deux parties, Occidentale et Orientale. C’est à partir de ce moment-là que l’Orient devient un îlot de romanité qui survit toutefois sous influence byzantine. Les siècles suivants, jusqu’au 7ème  où l’on commence à parler de la naissance des LR au travers des attestations et/ou des reconstructions, sont à la fois controversés et mystérieux, marqués par les invasions barbares et par une régression consécutive des actes de culture. Enfin, les informations sociolinguistiques et historiques permettent de situer la genèse des LR vers 800 après JC1.

Notes
1.

Nous sommes conscients du caractère épineux de la problématique concernant la chronologie de l’avènement des LR. Le bref aperçu que nous venons d’offrir reprend les opinions consacrées dans le monde des romanistes. Quelques ouvrages à caractère synthétique explorent le phénomène, nous renvoyons donc le lecteur à Bartoli (1925), Tagliavini (1959), von Wartburg (1950), Mihaescu (1960), Bec (1971), Bourciez (1967), Herman (1985), Posner (1996), Jensen (1999), entre autres