Tout d’abord, l’italien pose un problème de variabilité du système au travers du territoire italophone. L’absence d’une norme nationale et le prolongement d’une situation historique de division territoriale et, implicitement, linguistique, engendrent de nombreuses innovations régionales et une imposition tardive d’une langue standard. C’est à l’époque de la Renaissance que l’italien de Toscane (et plus précisément celui parlé à Florence, centre culturel à cette époque) s’impose comme langue littéraire. De nos jours, il garde encore ce statut. Malgré cela, il semble qu’une situation reproduisant la situation pré-moderne est en train de prendre de l’ampleur. Elle consiste en la revalorisation des variantes régionales, et plus précisément, du parler de Rome, de plus en plus imposé grâce au prestige de la capitale (Malmberg, 1971).
Dans les pages suivantes, nous allons poursuivre notre analyse avec la description des systèmes vocalique et consonantique du toscan. Toutefois, des considérations seront faites sur les réalisations respectives dans les autres régions d’Italie. Enfin, un dernier paragraphe de cette partie consacrée à l’italien prendra en considération les principales particularités supra-segmentales de la langue.
Le système vocalique de l’italien toscan connaît deux sous-systèmes, d’après le caractère tonique ou atonique de la syllabe d’occurrence des voyelles.
Le système vocalique en syllabe accentuée est le suivant :
Tandis que le même système devient identique au système espagnol en position protonique comme ci-dessous :
En conclusion, il nous semble que le système vocalique de l’italien est en voie de simplification vers une structure approchant celle de l’espagnol. De ce fait, il illustre la particularité du prototype roman qui est un système à cinq voyelles. Bien que l’opposition d’ouverture soit envisageable, elle nous semble de moins en moins fonctionnelle. De même, cette opposition fait preuve de soumission à une tendance plus générale qui semble toucher le système vocalique français, comme nous l’avons montré précédemment. Enfin, il est peut-être question d’une tendance plus large du vocalisme qui est de s’orienter vers des configurations ’d’équilibre’ représentées par le système à cinq voyelles (Vallée, 1994).
L’italien possède trois types de diphtongues, classifiées ainsi d’après leur structure et le type de contexte où ces séquences apparaissent.
Tout d’abord, il s’agit des diphtongues :
Ascendantes comme, par exemple, [ja] dans piano ’doux’ [pjano], [je] dans pieno ’plein’ [pjeno], [jo] dans pioppo ’peuplier’ [pjoppo], [wa] dans cuadro ’cadre, tableau’ [kwadro], ou encore [ju] dans fiume ’fleuve’ [fjume]) ou bien,
Descendantes comme, par exemple, [aj] dans vedrai ’tu verras’ [wedraj], [aw] dans causa ’cause’ [kawza], [ej] dans vorrei ’je voudrais’ [vorrej], ou encore [oj] dans noi ’nous’ [noj]).
De plus, il existe une troisième catégorie de diphtongues, connues sous le nom de diphtongues mobiles et issues de la dérivation lexicale dans le cas de certaines familles de mots. Les diphtongues mobiles sont les séquences de type [je] et [wo] présentes si la syllabe d’occurrence est sous accent, et devenues monophtongues, lorsque la syllabe est atone. Ainsi, dans fuoco ’feu’ [fwoko] la diphtongue est sous accent, tandis que dans focoso ’fougueux’ [fokozo], ou focaiolo ’foyer’ [fokajolo] seule la voyelle non accentuée apparaît. Il est de même pour la séquence [je] dans la série piede ’pied’ [pjede] – pedestre ’pédestre, banal’ [pedestre] – pedata ’coup de pied’ [pedata].
Enfin, quant aux règles d’occurrence des voyelles dans les mots, notons l’extrême variabilité combinatoire de l’italien et la forte tendance de finale lexicale vocalique.
Les phonèmes consonantiques de l’italien sont au nombre de 23 et confirment la proximité du phonétisme de cette langue au prototype sonore de la romanité. Le tableau ci-dessous illustre cette idée.
Bilabiales | Labio-dentales | Dentales (Alvéol.) | (Post) Alvéol. | Palatales | Vélaires | |
Occlusives | P b | T d | K g | |||
Affriquées | Ts dz |
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||||
Fricatives | F v | S (z) |
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|||
Nasales | μ | n |
![]() |
|||
Latérales | l | |||||
Vibrantes | r | |||||
Semi-C/V | j | w |
Le système consonantique de l’italien, comme celui du français de la section précédente est peu sujet aux controverses. Cependant, quelques aspects concernant le nombre et le statut des unités consonantiques nous semblent devoir être notés. Tout d’abord, il s’agit du statut des fricatives dentales, et plus précisément de l’existence de deux phonèmes /s/ et /z/. La controverse consiste à affirmer l’existence des deux phonèmes ou bien d’un seul /s/, le second phonème /z/ étant seulement une variante combinatoire de /s/. En effet, le florentin présente le cas particulier d’avoir conservé l’une des fricatives dans certains contextes, et l’autre, dans les autres lexèmes. Ainsi, des mots tels que it. francese ’français’ se prononce [franceze], tandis que it. svedese ’suédois’ se prononce [swedese]. Cette situation est en contradiction avec la règle de dissémination dans l’espace roman par rapport à ce phénomène, et qui fait que dans le Nord, /s/ subit généralement un voisement en position intervocalique, tandis que dans le Sud le segment reste tel quel. Ainsi, pour ce qui est du florentin, il posséderait deux phonèmes qui se trouvent en distribution libre. Cependant, cette distinction n’est d’aucune utilité dans le processus de communication. Par conséquent, Malmberg (1971) plaide en faveur de l’existence d’un seul phonème /σ/ et de sa variante combinatoire [z].
La paire d’affriquées [ts]~[dz], présente une situation presque analogue. En effet, sa distribution défective pourrait fournir des arguments en faveur d’un seul phonème /ts/. Par conséquent, il n’y a que deux positions sur trois dans un lexème où les deux segments [ts] et [dz] seraient admis, à savoir en position initiale de mot (comme dans zucchero ’sucre’ [tsukero] et zero ’zero’ [dzero]) et médiane (comme dans raza ’race’ [rattsa] et razza ’un type de poisson’ [raddza]). Au contraire, en position post-consonantique et à la finale de mot, seul [ts] peu apparaître en raison d’une fusion qui se produit entre affriquées et fricatives. De cette manière, le mot falso ’faux’ est prononcé [faltso] ou encore le mot senso ’sens’ est prononcé [sentso].
Toutefois, le phénomène le plus intéressant du consonantisme italien est l’opposition phonologique de quantité consonantique, i.e. la gémination. Elle est mise en évidence par des paires minimales comme, par exemple :
fato ’fait’ [fato] vs fatto ’destin’ [fatto]
calo ’diminution’ [kalo] vs’ callo cor’ [kallo]
pala ’pelle’ [pala] vs palla ’balle’ [balla],
etc.
Quant à la prosodie de l’italien, il s’agirait d’une tâche plus difficile à décrire, car selon Rossi (1998) la plupart des travaux consacrés à cet aspect ne prennent en considération que les particularités intonatives de la variante toscane. Or, une description exhaustive des spécificités supra-segmentales devrait prendre en considération les caractéristiques régionales. Ainsi, suivant Rossi, nous nous contentons de fournir un bref aperçu des principaux traits prosodiques de l’italien. L’italien est une langue à accent libre qui peut toucher la syllabe finale, pénultième ou antépénultième d’un item lexical. Par ailleurs, ce trait présente une manifestation générale au sein des variantes régionales d’italien. Enfin, selon Rossi (1998), le domaine de manifestation de l’accent est le mot.
En résumé, il nous semble qu’effectivement, l’italien représente la LR possédant le phonétisme le plus proche, aussi bien de celui de son parent latin que du prototype virtuel, de la famille romane. La seule particularité notable est sans doute liée aux phénomènes de durée vocalique et consonantique entraînée par la gémination. Ce trait est susceptible de se manifester également au niveau supra-segmental.