1.4.5 le roumain

Seule langue ayant gardée la dénomination qui fait foi de son appartenance au monde latin, le roumain est aussi la langue romane la plus éloignée de ses soeurs occidentales. De ce fait, elle est le résultat d’une évolution singulière en tant qu’isolat linguistique. Son phonétisme actuel est la conséquence d’une romanisation tardive, par un latin éloigné de son état classique, d’un substrat trace et d’un superstrat slave, auxquels des influences grecques, hongroises, turques, etc., sont venues au fil des siècles mêler leurs empreintes.

Le vocalisme roumain est à mi-chemin entre l’extrême richesse des systèmes français et portugais, d’un côté, et la forme quasi prototypique de l’espagnol et de l’italien, de l’autre. Il s’agit de la seule langue romane ayant développé un axe central complet, comme le montre la figure ci-dessous.

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Figure 11 : Système vocalique du roumain.

La configuration du système vocalique roumain permet d’évaluer l’écart entre cette langue et le prototype roman que nous avons évoqué dans le paragraphe 1.3.4. En effet, il semble que toutes les LR aient hérité du latin la structure vocalique de base qui serait un système à cinq voyelles, sur laquelle elles ont greffé des segments supplémentaires, issus des conditions spécifiques de genèse et d’évolution.

Dans le cas du roumain, plusieurs interprétations sont possibles quant à l’origine des segments situés sur l’axe central, à savoir un développement du latin, un héritage des idiomes prélatins parlés dans la région danubienne, et enfin, un possible emprunt slave tardif.

De toute évidence, des timbres similaires au [ message URL SCHEM11.gif] roumain se retrouvent en portugais et dans les dialectes italiens méridionaux. Par ailleurs, ce segment résulte principalement de l’évolution d’un /α/ latin en position non-accentuée (par exemple, lat. casa ’maison’ > roum. casă [kas message URL SCHEM11.gif]), mais il peut provenir aussi d’un /ε/ latin précédé d’une latérale, d’une labiale, de la labio-vélaire /kw/ ou du groupe consonantique [-kr]. De plus, la présence du nouveau segment dans le système est renforcée par des emprunts slaves, cependant une interprétation en termes d’origine latine serait envisageable. Enfin, les mêmes types de segments se sont développés en bulgare et en albanais (l’albanais est une langue qui partage avec le roumain le plus de caractéristiques issues de l’élément préroman), voire en anglais et en allemand.
Il en est de même pour [ message URL SCHEM20.gif], des timbres similaires s’étant développés en russe, en polonais et en turc (Ionescu-Ruxandoiu, 1973). Ce nouveau phonème est plus particulièrement le résultat d’une phonologisation des réalisations d’un /i/ ou d’un /ε/ latins notamment en contexte nasal, en passant par un état intermédiaire de / message URL SCHEM11.gif/. Par ailleurs, comme dans le cas du phonème / message URL SCHEM11.gif/, sa présence dans le système est renforcée par des emprunts slaves ou d’autres origines.

Quoi qu’il en soit, la controverse concernant les deux segments de l’axe central reste d’actualité et représente l’un des problèmes épineux de la phonologie roumaine.

S’y rajoutent d’autres questions que nous allons discuter comme le statut phonologique des diphtongues /ea/ et /oa/ et celui de la voyelle [j] finale assyllabique. Nous allons consacrer une brève discussion à chacun de ces points.

Il faut signaler avant tout que le nombre de sept unités vocaliques est généralement accepté par les linguistes (Rosetti, 1957 ; Vasiliu, 1985 ; Ruxandoiu, 1973, entre autres). Néanmoins, d’autres interprétations existent et notamment celle de Petrovici (1956) qui plaide en faveur d’un système vocalique roumain à cinq voyelles et deux lieux d’articulation, i.e. labiale et non-labiale. La série labiale serait représentée par les phonèmes /ο/~/οj/ et /u/~/υj/, dont la seconde unité serait une variante combinatoire palatalisée, réalisée comme telle en contexte consonantique palatal. La série non-labiale serait /a/~/aj/, /e/~/ message URL SCHEM11.gif/ et /i/~/ message URL SCHEM20.gif/, le second élément étant, de la même manière, une variante combinatoire du premier. Ainsi, la série vocalique centrale n’aurait pas de statut phonémique, car elle apparaît uniquement en contexte palatal. Il faut remarquer que cette position (et de même sa réplique consonantique) est singulière dans la linguistique roumaine et elle est rejetée par la plupart des phonologues qui se sont penchés sur la structure du roumain.

En guise de conclusion concernant le système vocalique roumain, notons que des études acoustiques ont mis en évidence la dispersion des voyelles dans un espace formé par F1 et F2.

Nous reproduisons ci-dessous la dispersion obtenue par Teodorescu (1985), ainsi que celle issue d’une étude que nous avons menée (Vasilescu & Marsico, 1999).

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Figure 12 : Distribution des voyelles du roumain dans l’espace F1/F2 d’après Vasilescu & Marsico (1999) (à gauche) et Teodorescu (1985) (à droite).

Le statut phonémique des diphtongues /ea/ et /oa/ représente un second point controversé du phonétisme roumain. Notons tout d’abord que le roumain possède une série de diphtongues, structurées de la même façon qu’en italien et en espagnol :

  1. Des diphtongues ascendantes : [ja] comme dans piatra ’pierre’ [pjatr message URL SCHEM11.gif], [je] comme dans miere ’miel’ [mjere], [wa] comme dans oameni ’des gens’ [wamenj], etc.
  2. Des diphtongues descendantes : [aj] comme dans pai ’paille’ [paj], [ew] comme dans meu ’le mien’ [mew], [oj] comme dans doi ’deux’ [doj], etc.

Leur nombre dans la langue est important (le roumain compte neuf diphtongues ascendantes et quatorze diphtongues descendantes) et il en est de même de leur fréquence d’occurrence dans les lexèmes de la langue. Toutes les combinaisons de type voyelles + /j/ et /w/ sont possibles.

Néanmoins, en dehors de ces segments caractéristiques de toutes les LR, le roumain possède deux segments de plus, à savoir /εα/ et /οα/ qui font son individualité parmi les idiomes issus du latin. Ce type de séquences (ou des séquences de timbre comparable) n’existent que sporadiquement dans d’autres parlers ou dialectes des LR. Historiquement, elles sont le résultat d’une diphtongaison conditionnée par le timbre vocalique de la syllabe suivante, dans les mots d’origine latine (et non pas slave) et parfois, dans les néologismes néo-latins. La réalisation semi-vocalique des phonèmes /e/ et /o/ est unique parmi les autres LR et peu fréquente dans les langues du monde (Ladefoged & Maddieson, 1996). En conséquence, des controverses sur leur statut dans la langue ont marqué la linguistique roumaine. Enfin, notons que le roumain possède une série de triphtongues qui représentent des séquences réunissant deux semi-voyelles (ou semi-consonnes) et une voyelle, comme dans les exemples : [ message URL SCHEM10.gifοa] dans corăbioară ’petit bateau’ [kor message URL SCHEM11.gifbioar message URL SCHEM11.gif], [jaw] dans tăiau ’ils coupaient’ [t message URL SCHEM11.gifjaw], [jew] dans eu ’moi’ [mew], [jej] dans iei ’tu prends’ [jej], [eoa] dans leoarcă ’mouillé’ [leoark message URL SCHEM11.gif] ; entre autres.

Chronologiquement, la discussion a été ouverte par Graur & Rosetti (1938) qui ont plaidé en faveur d’un statut monophonématique des deux séquences /εα/ et /οα/, ce qui exclue d’emblée la possibilité que le roumain possède quatre semi-voyelles. Plus tard, Rosetti (1956 et 1957) a revu le problème et argumenté en faveur de l’existence d’une semi-voyelle antérieure /e/, mais pas de sa contrepartie postérieure considérée comme une simple convention graphique qui fait référence à une variante du phonème /w/. Quant à l’existence des deux autres semi-voyelles, /j/ et /w/, elle est indéniable et étayée par l’organisation de la coupe syllabique qui exclue, en ce qui les concerne, une position nucléaire. Plus radical, Avram (1958) considère uniquement /e/ et /o/ comme semi-voyelles, tandis que /j/ et /w/ font partie de l’inventaire consonantique. Enfin, pour Vasiliu (1965) les quatre semi-voyelles ne représentent que des variantes positionnelles des voyelles correspondantes, se trouvant avec ces dernières en distribution complémentaire, tandis que Petrovici (1956) les élimine complètement de l’inventaire phonématique du roumain, en les traitant comme des articulations secondaires appartenant à deux séries consonantiques supplémentaires, palatalisée et labialisée. Notons que toutes les interprétations précédentes sont de nature phonologique et reposent sur l’analyse du comportement des unités discutées dans le système de la langue.

Cependant, un argument du domaine de la phonétique acoustique est amené par Rosetti (1965) qui a réalisé une étude expérimentale comportant la mesure des deux segments constituant les diphtongues et des tests de perception, ayant pour but de mettre en évidence la nature phonétique des deux séquences. Les conclusions de l’auteur vont dans le sens de l’existence de structures bi-phonématiques, dont le premier segment joue le rôle de semi-voyelle. Enfin, dans une étude que nous avons menée, nous avons pu mettre en évidence la hiérarchie de durée suivante : V < /ea/ et /oa/ < Semi-V/C + Voyelle (Vasilescu, 1998). Cela montre que les deux séquences ne possèdent pas le même statut que les autres diphtongues roumaines, du moins en ce qui concerne la durée.

En guise de conclusion, notons également que les deux séquences /εα/ ετ /οα/ ont été étudiées du point de vue de la fréquence d’occurrence de leurs réalisations dans les dialectes roumains (Tanase, 1990). Cet auteur a mis en place une ample enquête dialectale couvrant toutes les régions roumanophones. L’enquête a révélé qu’une quasi-majorité de prononciations des deux séquences peut être considérée comme les diphtongues /εα/ ετ /οα/. Les données sont issues de ’Texte dialectale, suplement la Atlasul lingvistic roman, II’ (Textes dialectaux, supplément de l’Atlas linguistique roumain) publié en 1943 par Petrovici.

Ainsi, sur un échantillon de 375 items, la séquence /ea/ est prononcée comme telle dans 73,06% des cas, comme [ja] dans 15,20% des cas, comme [a] dans 10% des cas, comme [je] dans 0,54% des cas et, finalement, comme [e] dans 0,25%. Pour ce qui est de la séquence /oa/, sur un échantillon de 189 items lexicaux, dans 94,71% des cas elle a été prononcée [οα], tandis que dans 4,23% des cas elle a été prononcée comme [wa], [ message URL SCHEM07.gif] dans 0,52% des cas et, enfin, elle a été prononcée comme [ο] ou [wο] dans 0,52%. Les données que nous venons de citer semblent aller dans le sens d’une interprétation des séquences discutées comme de véritables diphtongues, même si le roumain s’avère être la seule langue romane qui les possède.

Le statut du segment connu sous le nom de [j] final assyllabique (Ionescu-Ruxandoiu, 1973) ou ’pseudo-i final’ (Petrovici, 1934 ; Lombard, 1935) est, lui aussi, controversé au sein du phonétisme roumain. Il est défini de la manière suivante par Ionescu-Ruxandoiu (1973, pp.9) :

‘’àssè’’lîè.’’
Son rôle est tout d’abord morphologique. Ainsi, il marque le pluriel des noms et des adjectifs qui possèdent une racine consonantique, mais aussi la seconde personne des verbes à l’indicatif et au subjonctif, comme dans les exemples suivants : pom ’un pommier’ [pom] vs. pomi ’des pommiers’ [pomj], plop’ un peuplier’ [πλοπ] vs. plopi ’des peupliers’ [plopj], (eu) merg ’je marche’ [merl] vs. (tu) mergi ’tu marches’ [merd message URL SCHEM21.gif j], să merg ’que je marche’ [s message URL SCHEM11.gifmerl] vs. să mergi ’que tu marches’ [s message URL SCHEM11.gifmerd message URL SCHEM21.gif j], etc.

Plusieurs interprétations ont été proposées quant à son statut phonémique. Nous faisons référence, ici, aux plus représentatives. Toutes les opinions convergent pour affirmer sa dépendance au contexte, même si la nature phonétique du segment est controversée.

Ainsi, pour Graur & Rosetti (1938), il s’agit d’une unité dépourvue de statut phonologique indépendant et qui constitue une marque de la corrélation de mouillure17 (ce qui implique donc, l’existence d’une série consonantique palatalisée en roumain).

Pour Avram (1956 et 1958), la nature du segment discuté est vocalique, et il est en fait une variante de /e/ semi-vocalique, tandis que Vasiliu (1965) le considère plutôt comme une variante de la voyelle /i/. Ces interprétations ont connu des modifications ultérieures, certains auteurs revenant sur leurs arguments du début et, implicitement, sur la nature de [j] final assyllabique. Ainsi, Graur et Rosetti ont remis en cause la dépendance du segment au contexte, trouvant des arguments contraires à leur théorie initiale.

Le système consonantique roumain soulève autant de points discutables que le système vocalique. Dans sa configuration la plus acceptée, il est structuré de la manière suivante :

Tableau 8 : Système consonantique du roumain (Ionescu-Ruxandoiu, 1973).
Bilabiales Labio-dentales Dentales (Alvéol.) (Post) Alvéol. Palatales Vélaires Glottale
Occlusives P b T d c□ K g
Affriquées T s□
Fricatives fv S z H
Nasales μ n
Latérales L
Vibrantes R
Semi-C/V j w

Le problème principal concerne le nombre d’unités dans le système. Nous avons décelé trois principales interprétations.

Chronologiquement, la première description phonologique appartient à Graur & Rosetti (1938) et présente un système à vingt phonèmes, dont seize ont une variante mouillée en finale absolue. Les phonèmes qui ne possèdent pas de réalisation mouillée sont la série d’affriquées, les fricatives /s/ et /h/, et les palatales, qui sont d’ores et déjà composantes du système en tant que vélaires neutres.

Plus tard, Rosetti (1965) revoit la théorie de la corrélation de mouillure, et reconsidère le système au profit d’une interprétation selon laquelle la structure C + [j] peut être considérée comme une séquence bi-phonématique. Vasiliu (1965) réduit de deux le nombre de consonnes neutres, en interprétant les deux palatales comme variantes combinatoires des vélaires correspondantes, mais il se ravise, lui aussi, en ajoutant au tableau des consonnes, en 1985, les palatales auxquelles il attribue un statut phonématique.

Une théorie qui est à l’écart de tous les points de vue cités précédemment, est fournie par Petrovici (1950 et 1956). Comme nous l’avons précisé antérieurement, Petrovici propose un système vocalique de cinq voyelles et exclue les semi-voyelles. Son système consonantique possède, en revanche, 70 phonèmes. Ils sont groupés en deux corrélations de timbre, i.e., la corrélation de palatalisation et la corrélation de labialisation. Ainsi, quatre classes consonantiques peuvent être différenciées : des consonnes neutres (par exemple, /p/, /t/, /k/...), consonnes palatalisées (/pj/, /tj/, /kj/, ...), consonnes labialisées (/pw/, /tw/,/kw/,...) et consonnes labio-palatalisées (/pwj/, /twj/, /kwj/,...). Toutes les consonnes neutres ne sont pas susceptibles de se retrouver dans les autres classes (seulement neuf phonèmes dits neutres peuvent avoir les trois autres contreparties), et certaines d’entre elles possèdent seulement un équivalent palatalisé et/ou labialisé. Cette vision du consonantisme roumain implique la phonologisation non seulement de l’opposition de mouillure en finale absolue – acceptée par certains chercheurs – mais aussi des structures telles que C + /ea/ ou /oa/ qui ne sont plus bi-phonématiques, mais monophonématiques. En effet, l’existence de ces deux séquences isole, comme nous venons de le voir, le roumain des autres LR, et permet à Petrovici d’avancer l’argument sur l’existence des deux séries consonantiques, à savoir la série palatalisée et la série labialisée. Quant à la série labio-palatalisée, les exemples incluant les séquences /i oa/, /eoa/, / iu/, /eo/, par ailleurs interprétées comme diphtongues ou triphtongues, justifient son existence.

La théorie de Petrovici est rejetée par la quasi-majorité des linguistes roumains, car elle contredit le principe d’économie du système, la réalité linguistique même et l’homogénéité de traitement avec les autres idiomes de la même famille. En effet, un tel système consonantique rendrait le roumain unique parmi les LR et complètement à l’écart du point de vue du prototype consonantique de la famille discuté à la section 1.3.4.

Cependant, quelques études expérimentales plus récentes que nous avons effectuées sont susceptibles de fournir des arguments étayant l’idée d’une labialisation allophonique des certaines consonnes occlusives dans le contexte de la série vocalique postérieure (Vasilescu & Marsico, 1999). Le but initial de notre démarche était d’étudier la distribution dans l’espace acoustique des sept voyelles roumaines et, de plus, les particularités de dispersion conditionnées par trois environnements consonantiques différents (i.e. bilabial, dental et glottal). Les modifications significatives de la trajectoire du second formant F2 des voyelles postérieures en contexte glottal et surtout bilabial, nous ont amené à reconsidérer l’hypothèse mentionnée ci-dessus. En effet, il semble que le contexte bilabial entraîne une descente importante du second formant F2 au début des voyelles centrales et plus particulièrement postérieures. D’après Ladefoged & Maddieson (1996), cette pente abrupte vers des valeurs significativement inférieures du F2 différencierait les consonnes labiales proprement dites des consonnes labialisées. La figure ci-dessous fait état de la configuration du F2 pour les voyelles postérieures du roumain. Dans la représentation, chaque croix correspond aux coordonnées des voyelles à l’état stable, tandis que dans le cas des voyelles postérieures nous avons mis en évidence l’évolution du F2 pour les segments qui nous intéressent. Les trajectoires du F2 sont montrées pour les contextes consonantiques bilabial (représentation en triangle) et glottal (représentation en losange). Nous pouvons observer que l’abaissement du F2 est plus particulièrement visible pour la voyelle [ο] et pour le contexte bilabial.

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Figure 13 : Distribution des voyelles du roumain dans le contexte bilabial et mise en évidence de la trajectoire du F2 pour les voyelles postérieures (d’après Vasilescu & Marsico, 1999).

Notons toutefois que certains aspects (i.e., la magnitude de l’effet de labialisation) de notre résultat ainsi que des études similaires concernant l’espace acoustique de dispersion des voyelles du roumain et d’autres langues européennes (Teodorescu, 1985), pourrait remettre en cause l’évidence de la labialisation allophonique et la potentialité d’un effet de contexte. Cependant, aucune preuve définitive n’a été fournie. Notre étude (Vasilescu & Marsico, 1999) ne donne pas d’arguments acoustiques pour une labialisation phonologique, néanmoins nos observations sont à mettre en relation avec celles issues de la théorie de Petrovici.

En ce qui concerne les particularités supra-segmentales du roumain, Dascălu-Jinga (1998) accepte l’opinion de Chiţoran & al. (1984) qui souligne que le roumain témoigne du même type accentuel que l’italien, à savoir ’syllable-timed’. De plus, comme en espagnol, en italien et en portugais, l’accent peut intervenir sur la dernière, la pénultième ou encore l’antépénultième syllabe. Cependant, selon Cohut & Mărdărescu (1966), la distribution de l’accent n’est pas homogène. Les deux auteurs ont effectué une statistique à cette fin et les résultats montrent que l’accent touche à la syllabe pénultième du mot dans 35,13% des cas de l’échantillon considéré. Cette position est suivie par l’accent final, sur la dernière syllabe de l’item lexical, car ce type d’accentuation est observée dans 11,95% des cas. Enfin, l’antépénultième syllabe ne peut être accentuée que dans 8,04% des cas, tandis que d’autres types d’accentuation sont accidentels.

Au terme de cette discussion sur le roumain, nous allons résumer les principaux aspects que nous avons pu noter. La principale conclusion concerne le fait que l’analyse du système du roumain confirme une fois de plus l’observation faite auparavant sur le rapport entre les LR et le latin, à savoir que si un grand nombre d’innovations existe, elles augmentent, voire complexifient l’héritage latin, sans pour autant modifier sa construction de base. Cependant, le roumain possède certains segments spécifiques qui ne se retrouvent pas dans les autres langues romanes. Nous pensons plus particulièrement à la série vocalique centrale, aux séquences /ea/ et /oa/, ainsi que le i final assyllabique. En ce qui concerne le système consonantique, nous avons pu mettre en évidence une particularité intéressante concernant la présence potentielle des articulations secondaires. Quant aux spécificités supra-segmentales, le roumain ne présente pas d’écart significatif par rapport aux tendances de la famille romane, comme nous avons pu le constater en français.

Notes
17.

Du point de vue articulatoire, les consonnes mouillées ou palatalisées sont des consonnes neutres qui ont subi la super-imposition d’un geste articulatoire supplémentaire correspondant à une élévation de la langue vers une position correspondant à la voyelle /i/. Du point de vue acoustique, la palatalisation correspond à une montée du F2 (Ladefoged & Maddieson, 1996). Enfin, l’exemple le plus connu de langue possédant une corrélation de mouillure est le russe.