2.3.3 les expériences d’identification des langues par des traits segmentaux

Comme nous l’avons mentionné précédemment, certaines des expériences sont spécifiquement orientées vers le rôle du niveau segmental dans la discrimination des langues. Nous présentons dans cette partie les trois travaux qui sont les seuls à notre connaissance à étudier exclusivement le rôle des indices de nature segmentale dans la reconnaissance et/ou la discrimination des langues.

Bien que plus intéressante dans la perspective de la RAP que dans celle de l’IAL, la première étude met en évidence une hiérarchie potentielle des informations segmentales. Ainsi, Cole & al. (1996) ont analysé le rôle des segments vocaliques et consonantiques dans la reconnaissance des mots. Lors d’un test de reconnaissance, les auteurs utilisent plusieurs types de parole : des phrases en parole naturelle tout d’abord, ensuite des phrases où toutes les voyelles ont été remplacées par un bruit et enfin des phrases où toutes les consonnes ont été remplacées par un bruit. L’objectif de la démarche est de tester la hiérarchie des indices segmentaux dans la reconnaissance. Les résultats pour les phrases en parole modifiée montrent que lorsque les voyelles sont préservées les sujets peuvent reconnaître 56,5% des mots et 21,5% des phrases. En revanche, quand l’information consonantique est préservée les scores de réussite se situent à 14,4% pour les mots et 8% pour les phrases. Les scores obtenus permettent ainsi aux auteurs de poser l’hypothèse selon laquelle la reconnaissance des mots dépend plus des voyelles que des consonnes (presque deux fois plus de bonne reconnaissance quand les voyelles ont été maintenues).

Les travaux de Barkat (1998 et 2000) aboutissent à une conclusion similaire, à savoir que parmi les données segmentales, c’est principalement l’information vocalique qui possède un statut privilégié. Contrairement à Cole & al. (1996), l’auteur n’utilise dans son expérience perceptive que des stimuli en parole naturelle. De plus, Barkat appuie ses résultats sur deux démarches complémentaires, une première, basée sur les stratégies déclarées par les auditeurs mêmes dans une phase d’évaluation postérieure au test et une seconde, basée sur l’analyse acoustique des indices ainsi identifiés.

Les résultats montrent que les auditeurs qui sont des locuteurs natifs de parlers arabes du Maghreb et du Moyen Orient sont capables de séparer ces parlers en deux zones géographiques principales (i.e., maghrébine vs. moyen orientale). L’information la plus pertinente qui permet cette division dialectale est liée à la structure des systèmes vocaliques. Les différences importantes de nature vocalique s’articulent autour de deux grands critères, d’une part, la distribution des segments vocaliques, et d’autre part, l’opposition de quantité vocalique. Bien que reposant sur des stimuli naturels, cette démarche confirme les observations de Cole & al. (1996) sur la robustesse des indices vocaliques qui semblent l’emporter sur les autres informations de nature segmentale.

Nous pouvons donc conclure que les sujets humains sont capables d’effectuer avec succès une tâche de reconnaissance linguistique même quand certaines informations segmentales sont manquantes dans le signal. Plus précisément, dans une hiérarchie des informations de nature segmentale que les humains utilisent, il faut tout d’abord prendre en considération le rôle des segments vocaliques. Une explication possible de ces résultats pourrait se trouver dans les informations temporelles et les variations d’amplitude portées par le vocalisme qui impliquent aussi des caractéristiques appartenant au niveau prosodique. Toutefois, les trois études portant sur le rôle des indices segmentaux restent minoritaires et suggèrent que ce domaine soit susceptible d’être mieux exploité. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce n’est pas le cas de l’analyse des indices de nature supra-segmentale qui est bien représentée dans la littérature.