3.4.1.2 Les paires de langues de type AB

Les résultats obtenus par la population française pour cette deuxième catégorie de stimuli fournissent d’ores et déjà un cas exemplaire du rôle important que la langue maternelle joue dans la discrimination.

Le graphe que nous représentons ci-après met en évidence les scores de discrimination correcte à 100% pour la totalité des paires où des signaux en français devaient être comparés avec des signaux en d’autres langues romanes. En revanche, aucune autre paire linguistique n’obtient un score aussi élevé. Ainsi, les résultats vont de 48,75% pour le stimulus Portugais/Roumain, jusqu’à 91,25% pour le stimulus Roumain/Italien, en passant par 83,75% pour Roumain/Espagnol et 86,25% pour Portugais/Espagnol et pour Italien/Espagnol.

Les taux de réussite de 48,75% obtenus par le stimulus Portugais/Roumain s’expliquent sans doute par la méconnaissance de ces deux langues chez les Français. Ce score s’avère en plus ne pas être significativement différent du hasard. En revanche, la discrimination effectuée sans difficulté du roumain par rapport à l’italien doit être mise au compte de la bonne connaissance de l’italien. Cela a dû permettre un correct traitement des langues de la paire. Les scores suivants, se trouvant autour de 85% de bonne discrimination des langues présentées en paire avec l’espagnol (i.e. les paires Roumain/Espagnol, Portugais/Espagnol et Espagnol/Italien), sont autant de preuves de bonne connaissance antérieure de l’idiome ibérique par les sujets français.

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Figure 17 : Scores de discrimination correcte obtenus par les sujets français pour les stimuli de type ’langues différentes’ (AB) Légende : FR/IT=Français/Italien, FR/ES=Français/Espagnol, FR/PO=Français/Portugais, RO/PO=Roumain/Portugais, RO/IT=Roumain/Italien, RO/ES=Roumain/Espagnol, RO/FR=Romain/Français, PO/ES=Portugais/Espagnol, ES/IT=Espagnol/Italien, PO/IT=Portugais/Italien. .

Le français a été statistiquement mieux discriminé que les autres langues romanes par rapport à la langue avec laquelle elles étaient appariées dans les stimuli. En effet, le t-test séries appariées effectué montre qu’il y a un écart significatif entre les stimuli de type AB comprenant le français comme item A et une autre langue (l’item B) d’un côté, et ceux dans lesquels les deux items A et B sont issus de deux langues romanes autres que le français, de l’autre. En revanche, les différences au sein de la deuxième catégorie de stimuli (i.e., les paires de signaux issus de deux langues romanes autres que le français) ne se révèlent pas significatifs

La seule différence significative dans cette catégorie concerne le score nettement plus réduit pour la paire Portugais/Roumain. Si on la compare aux résultats des autres paires, on peut observer que les bonnes réponses ont été significativement moins nombreuses pour cette paire. Par ailleurs, le score obtenu pour ce stimulus tout comme ceux des stimuli Portugais/Portugais et Roumain/Roumain (voir la section précédente) ne sont pas significativement différents du hasard. Cela prouve que le caractère méconnu des deux langues a posé de sérieux problèmes de confusion.

Nous avons tenté de mieux circonscrire l’impact de la langue maternelle par rapport aux autres langues de l’expérience dans l’obtention des taux de discrimination. À cette fin, nous nous sommes intéressés à l’effet que nous pourrions appeler ’langue de la paire’ et qui concerne la comparaison du pouvoir discriminant de deux langues par rapport aux trois autres langues qui restent.

Cet objectif est réalisé au travers de la comparaison des sommes moyennes de pourcentages calculées de la façon suivante :

Langue_x/Total_Autres_Langues vs. Langue_y/Total_Autres_Langues, où x, y ∈ {espagnol, italien, français, portugais, roumain}.

Exemple 

Comparer Espagnol/{Italien + Français + Roumain}, par rapport à Portugais/{Italien + Français + Roumain}, i.e. comparer les deux sommes qui peuvent nous indiquer si l’espagnol a été mieux reconnu que le portugais.

Cette comparaison des pourcentages fournit une représentation statistique globale du succès en différenciation linguistique de chaque langue romane par rapport aux autres.

La matrice ci-dessous met en évidence les résultats statistiques de cette comparaison (S= Significatif, NS= non significatif).

Tableau 13 : Comparaison binaire de la réussite dans la discrimination par les sujets français d’une langue par rapport aux autres langues romanes.
Français Italien Portugais Roumain Espagnol
t=2.942,p=0.0084 S t=7.092, p< ;0.0001 S t=6.528, p< ;0.0001 S t=4.569 p< ;0.0001 S Français
t=5.667, p< ;0.0001 S t=6.254, p< ;0.0001 S NS Italien
NS t=4.324, p= 0.0004 S Portugais
t=4.333, p=0.0004 S Roumain
Espagnol

Nous pouvons observer que la langue maternelle a été statistiquement mieux discriminée d’une autre langue romane que toutes les autres langues romanes entre elles29. Par exemple, le français a été mieux discriminé des langues {Italien, Portugais, Roumain} que l’espagnol ne l’a été. Nous pouvons aussi observer que l’espagnol a été mieux discriminé des autres langues romanes que le portugais et le roumain. Par contre, la différence de traitement de l’espagnol et de l’italien face aux autres langues romanes n’est pas statistiquement significative.

D’ailleurs, si l’on ne tient pas compte des deux langues méconnues, le portugais et le roumain, dont les scores de bonnes réponses ne sont pas significativement différents du hasard, comme nous avons pu le constater, l’effet de la langue maternelle semble être le seul effet validé statistiquement. Toutefois, il nous semble important de préciser que l’effet de la langue maternelle est accompagné d’un effet aussi important qui est celui de l’apprentissage antérieur au test. Ce deuxième effet est responsable du traitement significativement meilleur de toutes les autres langues romanes par rapport au roumain et au portugais. En revanche, le portugais n’a pas été mieux traité que le roumain.

Par ailleurs, l’espagnol et l’italien ont été mieux discriminés des autres langues romanes que ne l’ont été le portugais et le roumain. Cette observation permet d’affirmer encore une fois l’importance de l’apprentissage antérieur de l’espagnol et de l’italien. En effet, cet apprentissage a été à l’origine d’un comportement homogène par rapport à tous les stimuli où l’un des deux extraits du stimulus était en espagnol ou en italien. Ce résultat a été obtenu en dépit du caractère peu connu des langues avec lesquelles ils étaient comparés, c’est-à-dire avec le portugais et avec le roumain. En outre, la familiarité quasi-comparable avec l’espagnol et l’italien a pour conséquence que la comparaison Espagnol/Total_Autres_Langues vs. Italien/Total_Autres_Langues n’a pas révélé de résultat statistiquement significatif. En effet, si l’une de ces langues avait été beaucoup plus familière chez les Français, nous aurions pu observer les effets dus à cette différence en degrés de connaissance préalable. Par conséquent, l’effet discuté (i.e., de familiarité) concerne uniquement les deux grandes classes que nous avons divisées en raison du trait [+/- connu] et qui opposent l’espagnol et l’italien, d’une part, au portugais et au roumain, de l’autre.

Ainsi, il semble que la présence de la langue maternelle parmi les langues du test ait engendré chez les Français la stratégie linguistique de choix de type [+ langue maternelle], suivie d’une stratégie complémentaire qui est celle de diviser les langues non-maternelles d’après le trait [+/- connu] sans opérer de distinctions plus fines à l’intérieur de chacune de ces classes.

Notes
28.

Légende : FR/IT=Français/Italien, FR/ES=Français/Espagnol, FR/PO=Français/Portugais, RO/PO=Roumain/Portugais, RO/IT=Roumain/Italien, RO/ES=Roumain/Espagnol, RO/FR=Romain/Français, PO/ES=Portugais/Espagnol, ES/IT=Espagnol/Italien, PO/IT=Portugais/Italien.

29.

Pour plus de détails sur les différences entre les taux de discrimination obtenus avec cette méthode chez les Français ainsi que chez les autres populations, voir Annexe.