3.4.1.4 Analyse des indices discriminants évoqués par les sujets

Nous allons compléter notre analyse par l’examen des indices discriminants évoqués par les auditeurs lors de la troisième phase de l’expérience. Compte tenu du fait que ces réponses n’ont pas été données systématiquement, nous nous sommes contentés de les reproduire ci-dessous sans faire appel à des techniques statistiques pour leur traitement. Le tableau suivant énumère les critères que les sujets ont affirmé avoir employés lorsqu’ils ont pris des décisions par rapport aux 50 stimuli de l’expérience. Nous avons exclu les commentaires sur le français qui, en tant que langue maternelle, n’a pas nécessité une stratégie de reconnaissance spécifique.

Tout d’abord, nous pouvons remarquer la variété de la nature des critères qui peuvent être de nature segmentale, supra-segmentale, lexicale, voire morphologique.

Ainsi, les sujets identifient des terminaisons spécifiques à l’italien, comme –ente, -into, -àna, ou à l’espagnol, comme –as ou –os. Notons aussi la présence des critères plus approximatifs, comme la mention des proximités sonores d’une langue avec d’autres langues ou d’autres familles de langues. Nous pensons surtout au roumain qui est estimé proche des langues slaves ou encore, asiatiques. Cela laisse penser que l’auditeur qui a fait cette dernière remarque a identifié la langue au travers de l’identification d’un locuteur dont le débit de parole était probablement très saccadé. Cependant, le niveau segmental est celui qui a fourni le plus d’indices aux auditeurs français.

Les principaux segments individualisant chacune des cinq langues romanes sont les fricatives [θ] et [x] et la vibrante [r] en espagnol ; les diphtongues en portugais, ou encore les voyelles centrales et les groupes consonantiques [-kt] et [- message URL SCHEM32.gift] en roumain. Par ailleurs, le dernier groupe consonantique cité est fréquent dans les langues slaves.

Les langues semblent avoir été identifiées aussi par l’intermédiaire de leur prosodie, chacune d’entre elles présentant une mélodie spécifique. Les indices prosodiques seraient plus nombreux en italien, d’après les mentions concernant ’la mélodie’, mais aussi celles concernant les consonnes géminées et l’allongement final des voyelles de cette langue. Ces remarques font référence à sa configuration temporelle spécifique. En outre, elles pourraient contribuer à expliquer la troisième dimension précédemment discutée que nous avons associée à la familiarité avec les langues. En effet, les spécificités prosodiques des deux langues ou l’accès au niveau morphologique et/ou lexical auraient pu contribuer aussi à la discrimination correcte de l’espagnol de l’italien. Par ailleurs, cet accès à des niveaux linguistiques supérieurs aux niveaux segmental et supra-segmental montre que la familiarité est liée plus particulièrement à la capacité d’effectuer un découpage plus précis du signal acoustique en mots et parties de mots qui contribuent à l’identification correcte d’une langue.

Enfin, notons que l’indice qui revient systématiquement concerne le niveau segmental et, plus précisément, vocalique. Chaque langue semble avoir fourni au moins un indice sur son système vocalique. Les indices vocaliques sont suivis par leurs contreparties consonantiques, et il nous semble que les auditeurs ont été particulièrement sensibles à la présence ou à l’absence des fricatives dans les échantillons sonores. Cet indice est remarqué aussi bien en portugais qu’en roumain, et c’est peut-être l’une des raisons de la confusion quasi-systématique des deux langues. Finalement, les indices supplémentaires, de niveau supérieur, lexical et/ou morphologique sont beaucoup moins fréquents.

Tableau 15 : Indices discriminants des langues romanes évoqués par les sujets français.
Langue Indices
Espagnol 1. La fréquence des sons [θ], [x] et [s]
2. la consonne [r] (le nombre de battements)
3.’la prononciation spécifique des voyelles’
4. la mélodie (’le débit de parole’)
5. les mots ’esta’, ’cabesa’
6.’des indices grammaticaux’
7. les terminaisons -as, -os
Italien 1. le [ρ] plus roulé que dans les autres langues
2. les consonnes géminées
3.la quantité vocalique (les fin de mots de comme [-a ure]’
4. la prosodie
5. les terminaisons -ente, - into, -i, -o, -àna ; 
6. le mot ’di’
Portugais 1. la fréquence des sons [ , [s] et [ο]
2. la présence de diphtongues et de consonnes fricatives
3. la prononciation ’confuse’ (i.e., la difficulté à découper les mots)
Roumain 1. la fréquence des sons ou groupes de sons [ ], [s], [-kt] et [- t]
2. le timbre des voyelles
3. les voyelles centrales
4. le rythme
5. les ’consonnes sifflantes’ (les fricatives ?)
6. la ’langue gutturale’
7. la sonorité ’proche des langues slaves’
8. la ’ressemblance aux langues asiatiques’