3.4.3.2 Les paires de langues de type AB

Les stimuli de type AB constitués à partir de signaux extraits de deux langues différentes, fournissent des résultats légèrement plus nuancés. Le graphe suivant met en évidence les résultats de la tâche de discrimination des items appartenant à deux langues romanes différentes.

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Figure 25 : Scores de discrimination correcte obtenus par les sujets japonais pour les stimuli de type ’langues différentes’ (AB).

Les items dont les pourcentages de reconnaissance correcte sont à prendre en considération sont les suivants : Portugais/Français avec 62,5% de réponses correctes, Portugais/Italien, dont le score a été de 68,75%, Roumain/Français qui a obtenu 71,25% de bonnes réponses Roumain/Italien avec 66,25%, et enfin, Portugais/Espagnol avec 63,75%. Les différences entre ces cinq scores n’ont aucune significativité statistique. En revanche, les écarts statistiquement significatifs existent entre d’un côté, les taux discrimination obtenus pour les six items cités et de l’autre, les taux obtenus par hasard pour les quatre autres items.

Les différences suivantes entre les paires de type AB sont statistiquement significatives : Portugais/Français vs. Espagnol/Roumain (t=2.405, p=0..0265), Portugais/Français vs. Espagnol/Français (t=2.268, p=0.0352), Portugais/Italien vs. Espagnol/Roumain (t=3.226, p=0.0044), Portugais/Italien vs. Espagnol/Français (t=3.567, p=0.0021), Roumain/Français vs. Espagnol/Roumain (t=3.943, p=0.0009), Roumain/Français vs. Espagnol/Français (t=3.943, p=0.0009), Roumain/Français vs. Italien/Français (t=2.463, p=0.0235), Roumain/Italien vs. Espagnol/Italien (t=2.741, p=0.0130), Portugais/Espagnol vs. Espagnol/Roumain (t=2.319, p=0.0317), Roumain/Italien vs. Espagnol/Français (t=2.669, p=0.0157), Portugais/Espagnol vs. Espagnol/Français (t=2.517, p=0.0210) et, enfin, Portugais/Roumain vs. Espagnol/Français (t=2.127, p=0.0467). Ces résultats soutiennent l’hypothèse selon laquelle le portugais et le roumain ont fourni des indices très pertinents aux sujets japonais leur permettant de distinguer ces langues de la plupart des autres langues romanes. Cependant, étant donné que les paires de langues qui ne comportaient pas de signaux en portugais ou en roumain doivent leurs réponses au hasard, les résultats ci-dessus sont à considérer avec prudence.

Comme pour les résultats des sujets français et roumains, nous avons tenté de mieux circonscrire l’impact de la langue maternelle par rapport aux autres langues de l’expérience dans l’obtention des taux de discrimination. À cette fin, nous nous sommes intéressés à nouveau à l’effet ’langue de la paire’ qui concerne la comparaison du pouvoir discriminant de deux langues par rapport aux trois autres langues qui restent.

Cet objectif est réalisé au travers de la comparaison des sommes moyennes de pourcentages calculées de la façon suivante :

Langue_x/Total_Autres_Langues vs. Langue_y/Total_Autres_Langues, où x, y ∈ {espagnol, italien, français, portugais, roumain}.

Notons qu’il s’agit quand même de résultats moins pertinents, car la moitié des données ont été obtenues par hasard. De ce fait, la comparaison a un caractère moins saillant que chez les Français et chez les Roumains.

La matrice ci-dessous fait état des effets obtenus : 

Tableau 19 : Comparaison binaire de la réussite dans la discrimination d’une langue par rapport aux autres langues romanes pour les sujets japonais.
Français Italien Portugais Roumain Espagnol
NS NS NS NS Français
NS NS t=3.101, p= 0.0059 S Italien
NS t=2.949, p= 0.0082 S Portugais
t=2.761, p= 0.0124 S Roumain
Espagnol

Comme attendu, presque la majorité des résultats n’ont pas reçu de validation statistique. Par conséquent, les Japonais n’ont pas traité une langue romane x mieux qu’une langue romane y par rapport à toutes les autres, exception faite de l’italien par rapport à l’espagnol, du portugais par rapport à l’espagnol et du roumain par rapport à l’espagnol.

Le traitement significativement meilleur de l’italien par rapport à l’espagnol peut être compris si l’on regarde les éléments de cette comparaison. Il s’agissait en effet de comparer Italien/{Français, Portugais, Roumain} vs. Espagnol/{Français, Portugais, Roumain}. Or, les paires Italien/Portugais et Italien/Roumain ont été correctement discriminées par les Japonais et n’ont pas obtenu des résultats au hasard. En revanche, de l’autre côté de la comparaison la paire Espagnol/Portugais est la seule ayant été correctement traitée. Par conséquent, cela a fait pencher le résultat en faveur de l’ensemble Italien/{Français, Portugais, Roumain}.

Ensuite le portugais a été mieux discriminé que l’espagnol des autres langues romanes. Visiblement, cette langue a fait l’objet d’une attention privilégiée de la part des Japonais, qui l’ont discriminé avec succès du français, de l’italien et de l’espagnol.

Quant au roumain, il s’agissait de comparer Roumain/{Français, Portugais, Italien} vs. Espagnol/{Français, Portugais, Italien}. La meilleure discrimination que l’espagnol dont le roumain semble avoir bénéficié, est déjà mise en évidence par les taux de réussite supérieurs à 65% obtenus dans la discrimination de cette langue par rapport au français et à l’italien. En revanche, l’espagnol n’avait été correctement discriminé que par rapport au portugais. Par conséquent, le roumain semble être la troisième langue, après le portugais et l’italien, qui ait procuré aux sujets japonais des indices linguistiques suffisamment pertinents pour la discriminer des autres langues romanes.

En guise de conclusion, l’étude des particularités perceptives mises en valeur par les taux de réussite des sujets japonais confirme que l’exposition linguistique préalable de cette population a été moins importante que celle des deux populations antérieures. Cette faible exposition a eu comme conséquence que les sujets japonais ont du faire appel à des stratégies de discrimination proprement linguistiques. La mise en oeuvre de ces stratégies leur a permis de capter des indices linguistiques particulièrement discriminants dans les signaux en portugais et en roumain. Par conséquent, ils ont significativement mieux traité ces langues que toute autre langue romane.

Dans les pages suivantes, nous allons procéder à l‘analyse statistique susceptible de nous permettre de mieux comprendre la nature du traitement perceptif dont les langues néo-latines ont reçu lors de cette troisième expérience. En effet, une MDS permettra de visualiser les distances perceptives établies par les sujets japonais entre les cinq langues romanes. Plus précisément, elle permettra de voir lesquelles des langues romanes permettent d’être distinguées grâce aux indices discriminants qu’elles fournissent. Notons avant tout et une fois encore, que ces distances ont moins de poids informationnel que celles révélées par les analyses précédentes, en raison de la proportion assez importante des jugements aléatoires dans le traitement des stimuli.