3.4.3.4 Analyse des indices discriminants évoqués par les sujets

Si nous regardons les commentaires fournis par les sujets japonais sur les critères de discrimination qu’ils ont employés, ils sont plutôt surprenants. Ainsi, les langues à propos desquelles le moins d’indices concrets ont été fournis sont le portugais et le roumain. À l’exception de la mention d’une certaine fréquence des consonnes [ρ], [λ] et [π], les observations sont ’impressionnistes’ et témoignent d’une difficulté à circonscrire les spécificités des deux langues et même à découper le continuum sonore. Cependant, nous avons pu noter que les données ne soutiennent pas ces remarques, puisque le portugais et le roumain représentent les langues romanes les mieux discriminées grâce à des indices proprement linguistiques. Nous avons pu faire une remarque similaire pour les sujets français et roumains en ce qui concerne le recouvrement entre les stratégies de discrimination découvertes et celles évoquées par les sujets. Les sujets japonais semblent confirmer, eux aussi, cette tendance.

En revanche, l’italien et le français sont considérés par les sujets eux-mêmes comme les langues les mieux perçues. Ainsi, l’italien est repéré grâce aux particularités supra-segmentales. En outre, les sujets arrivent même à identifier des mots et des spécificités dérivationnelles.

De même, le français se distingue par la présence de segments de type nasal et par la vibrante uvulaire [ message URL SCHEM14.gif]. De plus, quelques mots sont isolés dans la chaîne sonore. L’un des sujets japonais procède même à une fausse identification de la langue au travers d’une identification du locuteur... Malgré cela, le français suscite des réponses au hasard, pour ce qui est des items de type AA. Quant aux paires linguistiques de type AB, c’est surtout en combinaison avec le roumain et le portugais que le français a été correctement jugé. Est-ce grâce aux particularités de cette langue ou grâce aux particularités des deux derniers idiomes ? Quoi qu’il en soit, le comportement perceptif des Japonais a été d’une évidente complexité.

Enfin, l’espagnol semble bénéficier de certains traits discriminants, sans que pour autant ces traits se soient révélés particulièrement utiles lors de l’expérience.

Tableau 21 : Indices discriminants des langues romanes évoqués par les sujets japonais.
Langue Indices
Espagnol 1. les consonnes [r] et [r] (i.e. avec plusieurs battements)
2. les sons où ’l’on roule la langue’
3. l’affriquée [ts]
4. ’les sons difficiles à discerner’
5. le syntagme [esparami]
Français 1. Les segments [s], [ ]
2. la fréquence des occlusives (’explosives’) comme [p]
3. la nasalité
4. les sons ’gutturaux’
5. les variations d’amplitude (’la voix élevée’)
6. les mots ’alors’ et le syntagme ’à la’
7. la fin de mots caractéristique
8. ’la facilité à capter les sons’
9. ’ça ressemble à un locuteur français que je connais’
Italien 1. quantité des segments (’allongement des sons’)
2. ’hauteur (mélodique) constante’
3. ’il n’y a pas beaucoup de coupures de souffle’
4. le syntagme [distokolma]
5. les fins de mots en –gi ou –gini/-cini
6. ’parler clair et gai’
7. ’ça ressemble à un joueur de foot que je connais’
Portugais 1. les consonnes [r], [l],[p]
2. les sons voisés
3. les sons difficiles à discerner
4. les allongements de fin de phrase
Roumain 1. les sons ’enfermés’ et ’sombres’
2. la fréquence des sons ’voisés’
3. prononciation parfois ’aspirée’
4. les allongements
5. ’l’intonation cyclique’
6. difficile à trouver la frontière des mots