3.4.4.les sujets américains

Le premier objectif de l’expérience avec cette population a été de mettre en évidence les indices discriminants de nature proprement linguistique pour la différenciation des langues romanes. Les expériences antérieures avec les sujets de langue maternelle romane (i.e., Français et Roumains) avaient montré que les facteurs extra-linguistiques de type [+/- langue maternelle romane], [+/- familiarité], voire [+/- zone géographique de la langue] l’emportaient sur les traits de nature linguistique, qu’il s’agisse d’informations segmentales, supra-segmentales, de nature phonotactique et/ou lexicale. Au contraire, la population japonaise n’ayant eu aucune exposition antérieure aux langues présentées et parlant une langue maternelle non-romane (i.e., Altaïque) avait fourni des réponses au hasard pour une partie importante des stimuli de test. Par ailleurs, les résultats obtenus avec les Japonais ont montré que certaines des langues sont plus faciles à discriminer que d’autres langues. Cependant, ces résultats ne nous ont pas permis de savoir plus sur les indices discriminants de nature linguistique qui font que le roumain et le portugais peuvent être discriminés des autres langues romanes.

Etant donné ces extrêmes en termes de réactions au test proposé, nous nous sommes intéressés à une population dont la langue maternelle n’est pas une langue romane (ce qui élimine le rôle de la langue maternelle), mais qui possède une exposition antérieure minimale à ces langues (ce qui permet de minimiser le facteur hasard dans l’obtention des taux de discrimination). La population américaine nous a semblé appropriée du point de vue du profil recherché.

Le second objectif de cette expérience a été de calculer les temps de réaction nécessaires pour fournir les réponses, en tant qu’information supplémentaire susceptible de compléter les conclusions sur la nature des indices discriminants. Ainsi, nous avons essayé de vérifier si les temps de réaction représentent ou non de bons indicateurs sur la nature des traits discriminants.

Aussi, avons-nous construit cette expérience de manière plus complexe que précédemment, afin d’exploiter le mieux possible les stratégies perceptives des sujets et les indices potentiels que ceux-ci auraient employés pour discriminer les langues romanes. Cette quatrième expérience a été effectuée par le biais d’une interface programmée à l’aide du logiciel PsyScope (Cohen, McWhinney, Flatt, & Provost, 1993, sur Macintosh). Elle a consisté en deux phases. Une première phase d’entraînement a permis aux sujets de se familiariser avec les langues de test grâce à 10 échantillons extraits de chacune des 5 langues romanes (2 échantillons de 10 secondes chacun par langue, deux locuteurs, homme et femme). Les échantillons ont été présentés en ordre aléatoire, le nom de la langue a été inscrit à l’écran durant 1500 millisecondes pour chaque échantillon. Dans une seconde phase de test nous avons demandé aux sujets de prendre une décision de type ’même langue/langues différentes’ pour les 50 paires d’extraits en cinq langues romanes. Les 20 extraits d’entraînement et les 50 stimuli de test ont été les mêmes que dans les trois expériences précédentes (voir aussi la méthodologie générale présentée dans le paragraphe 3.2. de ce chapitre).

Chaque réponse a été enregistrée (obtenue par un appui sur la touche S (’same’, même langue) ou D (’different’, langues différentes) du clavier de l’ordinateur), ainsi que le temps de réponse (désormais RT) en millisecondes. Nous avons demandé aux sujets de prendre une décision aussi vite que possible. Toutes les autres instructions concernant le déroulement de l’expérience ont été fournies par l’interface programmée en PsyScope.

Les traitements statistiques sont analogues aux analyses effectuées pour les trois populations précédentes. Ainsi, nous avons effectué un t-test univarié afin de vérifier si les résultats ont été obtenus de manière accidentelle ou non. Les valeurs obtenues pour p et t sont significatives dans tous les cas, à l’exception des items Portugais/Portugais (t=0.567, p=0.5770), Portugais/Roumain (t=0.357, p=0.7250), et Roumain/Roumain (t=1.036, p=0.0308). Ces résultats ne sont pas surprenants, étant donné que le roumain et le portugais représentant les deux langues les moins connues de la population américaine. Ils montrent seulement que l’exposition préalable à ces deux langues n’était pas suffisante, et confirment les résultats obtenus pour la population française, roumaine et japonaise.