3.4.4.3 Les distances perceptives

Les sujets américains ont confirmé notre hypothèse sur le caractère de population intermédiaire du point de vue de l’exposition antérieure aux langues romanes. Ainsi, ils représentent un groupe de sujets dont les stratégies perceptives sont basées à la fois sur la familiarité antérieure avec les langues romanes (comme chez les Roumains et chez les Français) et sur des données acoustiques spécifiques au signal (comme chez les Japonais). La distribution des cinq langues étudiées dans une représentation tridimensionnelle renforce cette observation.

Cette représentation a été obtenue à partir de la matrice des réponses suivante (voir la méthodologie dans la section 3.4.1.3.) :

Tableau 23 : Matrice des réponses de type ’même langue’ (type AA) fournies par les sujets américains.
Espagnol Français Italien Portugais Roumain
Espagnol 38 1 12 10 9
Français 4 32 2 11 5
Italien 14 3 28 5 13
Portugais 3 6 6 21 20
Roumain 4 8 12 22 25

La proportion de variance expliquée par les trois premiers facteurs est mise en évidence dans la figure suivante.

Nous avons retenu les mêmes dimensions que pour les populations précédentes, à savoir D1/D2 et D1/D3. Cette configuration explique 99,01% de la variance, soit 59,93% pour le premier facteur, 29,90% pour le second et 14,18% pour le troisième. Nous allons représenter les données selon les trois dimensions, néanmoins il faut signaler que la troisième dimension est moins pertinente que les deux premières.

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Figure 30 : Proportion de la variance expliquant la distribution des données des sujets américains selon les cinq premières dimensions.

Dans la figure ci-dessous, le plan de gauche explique les données d’après les deux premières dimensions principales, tandis que celui de droite rajoute à cette représentation une troisième dimension.

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Figure 31 : Représentations des distances perceptives entre les langues romanes selon les plans D1/D2 et D1/D3 pour les résultats des sujets américains.

La première dimension (D1) ressemble à la dimension D3 chez les Français et une configuration des langues similaire a également été trouvée sur la D2 chez les sujets roumains (voir paragraphes 3.4.1.3 et 3.4.2.3.). Sur ces trois axes on retrouve le même regroupement linguistique qui divise les langues romanes en deux groupes : {italien, espagnol} vs. {portugais, français, roumain}. Cela nous semble renforcer notre hypothèse concernant le fondement linguistique de ce regroupement qui pourrait être associée à des informations phonologiques de type vocalique. Le discriminant linguistique qui lui correspond pourrait être appelé [+/- système vocalique complexe].

Cette distribution permet de comprendre le score inférieur obtenu pour la paire Espagnol/Italien. Nous estimons que ces résultats s’expliquent par une communauté de traits partagés par l’italien et l’espagnol, mais non pas par le français, le portugais et le roumain. Ces trois derniers idiomes semblent partager à leur tour un certain nombre de traits linguistiques communs. Autrement dit, ces données soutiennent l’idée qu’il existe une correspondance entre le regroupement des langues romanes suggéré par la classification typologique et ce regroupement issu d’une classification perceptive.

La seconde dimension (D2) est de type [+/- familiarité], dans la mesure où elle oppose les langues familières, le français et l’espagnol, aux langues moins familières, l’italien, le roumain et le portugais.

Le fait que le critère [+/- système vocalique complexe] soit associé à D1 et non pas à D2 légitime l’hypothèse que la stratégie perceptive dominante de cette population a été basée sur les indices linguistiques. Quant à la troisième dimension (D3), elle indique comme chez les Français la discrimination existant entre l’espagnol et l’italien. Cela fait référence au résultat discuté lors de l’analyse des pourcentages d’identification correcte, à savoir que la distance linguistique entre l’italien, le français et l’espagnol est d’une autre magnitude que celle entre le portugais et le roumain. Cependant, ces distances demeurent relatives, étant donné que la MDS ne permet pas de mesurer leur significativité statistique.