4.4.1.3 Les distances perceptives

La représentation de la figure 41 a été réalisée à partir d’une matrice des distances inter-linguistiques. Chaque distance entre deux langues représente la somme des distances que les sujets ont attribuée à la paire de langues en question. Par conséquent, plus la valeur est importante, plus les sujets ont associé la paire de langues à des points supérieurs de l’échelle. Nous avons représenté en gras les réponses correspondant aux paires de langues de type AA (’même langue’). Comme nous l’avons précisé précédemment, dans le cas des stimuli de type AA il s’agit plutôt d’une reconnaissance des langues de la paire que d’un véritable jugement de similarité.

Tableau 26 : Matrice des distances perceptives établies entre les langues romanes par les sujets français.
Espagnol Français Italien Portugais Roumain
Espagnol 176 71 163 143 141
Français 74 199 75 70 60
Italien 150 87 182 119 109
Portugais 109 67 106 148 144
Roumain 117 64 126 137 162

Les dimensions 1 et 2 ont été retenues. La figure ci-dessous montre que 79,23% de la variance est expliquée par la première dimension, qui est la plus importante.

La seconde dimension explique 18,28% de la variance, tandis que la troisième est responsable d’uniquement 1,82% de la variance.

Par conséquent nous représenterons les données selon le plan D1/D2.

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Figure 40 : Proportion de la variance expliquant la distribution des données des sujets français selon les cinq premières dimensions.

La figure 41 fait état de la configuration des distances linguistiques entre les cinq langues romanes selon les dimensions 1 et 2. La MDS montre les distances entre les langues romanes selon les jugements de similarité des sujets français, mais ces distances doivent être considérées avec précaution, parce que d’une part, la MDS est une technique descriptive qui ne mesure pas la significativité statistique des écarts entre les langues et que, d’autre part, les deux facteurs qui expliquent la distribution des données n’ont pas le même poids. Ainsi, les distances qui existent entre les langues selon la D1 ne sont pas aussi pertinentes que celles qui existent entre les langues selon la D2.

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Figure 41 : Représentations des distances perceptives entre les langues romanes selon le plans D1/D2 pour les résultats des sujets français.

Comme nous venons de le préciser, la première dimension est la plus importante, car elle est responsable de 79,23% de la variance. Cette dimension sépare le français, des quatre autres langues romanes. Le résultat est donc cohérent avec la distribution des langues que nous avons obtenue par la tâche de discrimination pour la population française. Cette distribution montre que la langue maternelle a joué à nouveau un rôle fondamental.

Ainsi, nous pouvons noter que ce rôle de la langue maternelle se manifeste aussi bien lors d’une tâche de discrimination des langues que lors d’une tâche de jugement de similarité. Dans les deux cas, la langue maternelle est estimée comme différente de toute autre langue, même s’il s’agit de langues génétiquement proches. Pour les sujets qui parlent l’une des langues de test la présence de leur langue maternelle les empêche d’accéder aux informations des niveaux segmental et supra-segmental pour évaluer la similitude acoustique des langues présentées dans la tâche. Autrement dit, la langue maternelle biaise le traitement perceptif des autres langues et influence la mise en oeuvre de stratégies perceptives liées aux informations acoustiques. De plus, la langue maternelle provoque un comportement perceptif préférentiel, puisque avant toute autre activité de catégorisation, les sujets vont commencer par la repérer et l’isoler. Aussi le premier facteur qui explique le traitement des données sera-t-il invariablement associé au critère de présence ou d’absence de la langue maternelle.

Le seconde dimension (D2) permet de visualiser la façon dont les langues autres que la langue maternelle ont été traitées. Elle sépare, d’une part, l’espagnol et l’italien, et, d’autre part, le portugais et le roumain. Ainsi, la distribution des langues va dans le sens des résultats obtenus par la tâche de discrimination, notamment par les résultats des trois populations, française, roumaine et américaine. L’information que cette dimension nous permet d’expliquer confirme qu’effectivement, l’espagnol partage certains traits acoustiques avec l’italien, qui font que les deux langues sont perçues comme les idiomes néo-latins les plus proches, comme l’analyse des taux de similarité nous a permis de constater dans la section 4.4.1.2. Elle confirme aussi l’importance de la complexité vocalique dans la classification perceptive des langues romanes par rapport à d’autres indices linguistiques potentiels de classification (i.e., consonantiques ou relevant du niveau supra-segmental).

Le second groupe est constitué par le portugais et le roumain. Ce regroupement laisse supposer que lors la tâche de discrimination les confusions fréquentes entre ces deux langues ne reposent pas que sur l’absence d’exposition préalable aux deux idiomes. L’évaluation de leur similarité nous permet de comprendre que, de plus, le portugais et le roumain possèdent sans doute des traits communs qui font que leur mise ensemble est pertinente pour la ’cartographie perceptive’ des langues romanes. Cependant, nous avons vu que la proximité entre ces deux langues était moins importante que celle qui existe entre l’espagnol et l’italien.