4.4.2 les sujets américains

Comme précédemment, nous avons testé si la prise de décision quant à la similarité/différence des stimuli a été difficile. Cette difficulté peut être matérialisée par une utilisation préférentielle du milieu de l’échelle de similarité (le point 3), ce qui signifie que les langues ont montré une certaine ressemblance, mais que la tâche de déterminer s’il s’agit d’une ressemblance réduite (points 1 et 2) ou importante (points 4 et 5) est difficile. Il s’est avéré donc que les sujets américains ont rencontré des difficultés à prendre une décision dans le cas des paires Portugais/Portugais (t=0.661, p=0.5163) et Roumain/Roumain (t=1.962, p=0.0646), pour ce qui est des items du type AA (’même langue’). Ceci n’est pas surprenant, il s’agit comme d’habitude des langues les moins connues et il est fort probable que les sujets n’ont pas eu suffisamment de temps pour se forger une image de ces langues.

En ce qui concerne les paires de type ’ langues différentes’, la décision a été difficile dans les cas suivants : Portugais/Français (t=0.631, p=0.5357), Portugais/Italien (t=0.607, p=0.5511), Espagnol/Roumain (t=0.438, p=0.6663), Roumain/Italien (t=1.047, p=0.3084), Portugais/Espagnol (t=0.575, p=0.5717) et Portugais/Roumain (t=1.101, p=0.2848). Il s’agit, d’une manière générale, des langues les moins connues, à savoir le portugais et le roumain, en combinaisons avec les autres trois langues restantes. Elles n’ont été jugées donc ni très similaires, ni très différentes des autres langues romanes, mais ce degré de similarité est moins facile à déterminer que pour les autres stimuli. Il faut noter également le fait que le jugement de similarité du portugais par rapport au français a posé problème, alors que le français, en tant que langue ayant bénéficié d’une connaissance préalable, a été jugé sans hésitation comme différente de toutes les autres langues romanes. Le roumain a été bien séparé de toutes les langues romanes, exception faite du français. Enfin, le portugais a été estimé ni similaire, ni différent de l’espagnol et de l’italien. Les résultats de cette population semblent comporter des effets plus complexes que ceux des Français. À notre avis, l’absence de la langue maternelle parmi les langues testées et la familiarité moins importante que chez les Français avec certaines langues romanes, déterminent les sujets américains à mieux écouter les stimuli et à baser leurs jugements sur les spécificités acoustiques de ces derniers. Or, étant donné qu’ils écoutent des stimuli de langues apparentées qui partagent certains traits acoustiques, la hiérarchisation des degrés de proximités entre ces langues est plus difficile, car toutes les langues ressemblent entre elles. Par conséquent, la prise de décision est plus difficile que chez les Français et le point médian de l’échelle est beaucoup plus souvent associé aux stimuli.

Chez les Américains, la prise de décision en ce qui concerne la similarité/différence des langues semble avoir été déterminée par des facteurs notamment linguistiques, même si d’autres facteurs de nature non-linguistique ont probablement joué aussi un rôle, comme la familiarité avec les langues. Ainsi, il nous semble difficile d’expliquer pourquoi l’évaluation de la similarité du français avec le portugais ait engendré des hésitations, si le rôle de la familiarité a été aussi important que dans le cas des résultats de la population française. Si tel était le cas, alors le français aurait dû être considéré aussi différent du portugais que toutes les autres langues romanes. Ce résultat s’explique, selon nous, par le fait que les sujets américains ont perçu des traits communs des deux langues.

Il en est de même pour la paire Espagnol/Roumain, pour laquelle la connaissance de l’espagnol n’a visiblement pas empêché une hésitation dans le jugement, mais aussi pour la paire Portugais/Espagnol, pour laquelle on peut penser au facteur de proximité géographique entre les deux langues ibériques qui, par ailleurs, partagent des traits consonantiques qui ne se retrouvent pas dans les autres langues romanes.

En ce qui concerne la paire Portugais/Roumain, le résultat non-significatif obtenu (t=1.101, p=0.2848) confirme le fait que les acquis linguistiques des auditeurs anglophones par rapport à ces deux langues ont été plutôt réduits, comme dans le cas de la tâche de discrimination. Il nous semble fort possible que leur jugement concernant la proximité perceptive entre le portugais et le roumain reflète une méconnaissance des deux idiomes.

Dans les sous-sections suivantes nous allons traiter des scores de similarité obtenus pour les items de type AA et ceux de type AB et nous consacrerons une partie finale de cette section à l’analyse MDS et aux discussions.