1.1.2. De la MCT à la MDT : notion issue d’un paradigme expérimental

La MCT est considérée comme un lieu de stockage transitoire ne pouvant retenir qu’une petite quantité d’information (empan) pendant une courte période (oubli rapide).

En 1956, Milner (cité dans Parkin, 1993) a proposé, pour estimer la capacité de stockage de la MCT, une technique de mesure de l’empan mnésique qui consistait à présenter une liste d’items (chiffres, mots...) destinée à être répétée dans l’ordre. La taille de la liste augmentait jusqu’au moment où le sujet n’était plus capable d’effectuer le rappel sériel strict. Les résultats ont montré que la valeur moyenne de l’empan était de sept, plus ou moins deux items. Toutefois, cette limitation de l’empan ne devait pas correspondre à sept unités élémentaires mais plutôt à sept structures, c’est-à-dire des regroupements élémentaires appelés « chunks » constituant chacun une unité d’informations et permettant de retenir un maximum d’informations (augmentation de l’empan).

Deux études célèbres (Peterson et Peterson, 1959; Waugh et Norman, 1965, cités dans Weil-Barais, 1994) ont tenté d’expliquer les mécanismes d’oubli en MCT. L’expérience de Peterson et Peterson a consisté à présenter des listes de trigrammes devant être rappelées après un délai variable compris entre zéro et quelques secondes. À chaque intervalle de rétention, les sujets effectuaient une tâche distractrice supposée empêcher toute répétition mentale du trigramme. Les résultats ont montré que les performances au rappel diminuaient avec l’augmentation de la durée des intervalles de rétention. Cela fournissait la preuve d’un déclin spontané des traces stockées en MCT. Une objection à cette technique est qu’il est difficile d’affirmer avec certitude que les sujets ne font rien pendant les intervalles de rétention. Il est possible qu’un phénomène d’interférence, liée à l’arrivée de nouvelles informations dans le stock, intervienne. Pour vérifier cette hypothèse, Waugh et Norman ont mis en oeuvre une procédure visant à faire varier l’intervalle de rétention des informations et le nombre d’items interférents. Une liste de 16 chiffres était présentée aléatoirement. Certains apparaissaient plusieurs fois et d’autres une seule fois. Le dernier chiffre de la liste était suivi par la présentation d’un des chiffres accompagné d’un signal sonore (sonde). La tâche consistait à se rappeler le chiffre qui suivait immédiatement cette sonde (cible) dans la liste. Le nombre de chiffres séparant l’indice de la cible variait ainsi que la vitesse de présentation des items. Les résultats ont montré que la vitesse de présentation n’avait pas d’effet sur les performances alors que celles-ci se dégradaient rapidement lorsque le nombre d’items de même nature intercalés entre la cible et la sonde augmentait. Ceci a suggéré que l’interférence était un des éléments constitutifs de l’oubli à court terme.

À partir de l’hypothèse d’Atkinson et Shiffrin (1971, cités dans Ehrlich et Delafoy, 1990) selon laquelle le registre à court terme, ou MCT, assurerait l’exécution de tâches cognitives complexes, Baddeley et Hitch (1974) ont souhaité d’une part vérifier si des tâches comme l’apprentissage, le raisonnement ou la compréhension mettaient en jeu ce registre et d’autre part estimer les limites d’empan dans ces conditions de traitement. Par exemple, dans une étude portant sur les capacités de raisonnement, Baddeley et Hitch (1974) ont testé l’hypothèse selon laquelle l’exécution simultanée d’une tâche de MCT et d’une tâche de raisonnement provoquerait une réduction des performances à la dernière épreuve. Pour cela, ils ont utilisé un paradigme de double tâche où les sujets effectuaient un test de raisonnement verbal tout en se souvenant de suites de chiffres variant entre 0 et 8. Le test de raisonnement consistait en une vérification de phrases dont le niveau de complexité variait en fonction de leur forme active ou passive, affirmative ou négative. Le temps et la qualité des réponses étaient enregistrés. Dans la tâche mnésique concurrente, les sujets répétaient à voix haute des chiffres et les rappelaient après le test de raisonnement. D’après les modèles de mémoire à registres multiples, si la MCT est utilisée pour le raisonnement, le fait de la charger avec une tâche concurrente devrait affecter le temps et la qualité des réponses. Ainsi, plus le nombre de chiffres à retenir est élevé, plus la capacité de la MCT devrait être mobilisée et plus les interférences avec les performances au test de raisonnement devraient être importantes.

Pour une charge mnésique élevée (8 items), les résultats ont montré que les temps de réponses au test de raisonnement augmentaient mais que la qualité de ces réponses demeurait constante en comparaison avec la condition contrôle sans charge concurrente. Cela suggérait l’existence d’un espace de travail aux propriétés différentes de celles de la MCT, impliquant que toutes les formes de mémoire immédiates ne partageaient pas une capacité commune. D’autres résultats ont permis à Baddeley et Hitch (1974) d’avancer l’idée que cet espace de travail distinct de la MCT avait une capacité limitée pouvant être allouée de manière flexible au stockage ou au traitement des informations. Il s’agissait de la MDT.

À travers leur approche différentielle de la compréhension de texte, Daneman et Carpenter (1980) ont rapidement adhéré à l’idée d’une MDT. Dans une étude sur l’empan de lecture consistant à lire un maximum de phrases à voix haute tout en maintenant disponible le dernier mot de chaque phrase en vue d’un rappel ordonné, ces auteurs ont montré que l’empan de lecture et les performances de compréhension étaient corrélés alors que la mesure d’empan classique et les performances de compréhension ne l’étaient pas. Autrement dit, les capacités de MCT ne rendaient pas compte de la compréhension des phrases. Par ailleurs, l’empan de lecture et l’empan mnésique reposaient sur des capacités différentes. La corrélation entre empan de lecture et compréhension de phrases suggérait que cette dernière dépendait des capacités de MDT. Ces résultats ont donc constitué un argument supplémentaire en faveur de l’existence d’une MDT impliquée dans les activités de compréhension du langage.