1.2.2. Vers un modèle connexionniste de la boucle phonologique

Toutefois, une limite du modèle traditionnel de la boucle phonologique (Baddeley, 1986) repérée par Burgess et Hitch (1992) est la difficulté à rendre compte exactement de la manière dont la rétention et la restitution ordonnée des items se réalisent. Burgess et Hitch (1992) proposent un modèle connexionniste étendu de la boucle phonologique qui intègre un mécanisme de stockage des associations entre les positions sérielles des items et rend compte des contraintes empiriques liées à la boucle phonologique. Dans ce modèle, les séquences temporelles d’items sont stockées dans un réseau comportant un ensemble d’unités disposées en couches où l’activation d’une couche projette sur la couche suivante. Les items sont représentés localement par des unités comportant des valeurs d’activation comprises entre –1 et +1 qui dépendent de la somme des poids d’activation des autres unités auxquelles elles sont connectées. Les valeurs d’activation des unités sont toujours bruitées car elles incluent une part aléatoire d’éléments. L’architecture du modèle comporte cinq couches d’unités représentées en figure 1.9.

message URL FIG1.9.gif
Fig. 1.9.— Architecture du modèle connexionniste de la boucle phonologique. (Burgess et Hitch, 1992)

Selon que l’item est présenté visuellement ou auditivement, l’entrée dans le modèle n’est pas identique. Les entrées auditives activent les unités d’entrée phonologique alors que les entrées visuelles activent les unités de mot. L’input visuel active les unités d’entrées phonologique par l’intermédiaire d’un feedback entre le filtre de sélection et les unités de contexte. Dans cette boucle connexionniste, l’activation se propage des unités de contexte jusqu’aux unités de sortie phonologique affectées à la répétition articulatoire. La couche d’unités de contexte représente les informations non phonologiques d’ordre temporel. Les sorties articulatoires dépendent d’un système de filtre où des inhibitions latérales suppriment les unités les moins actives. L’unité sélectionnée la plus active sera écartée du filtre immédiatement après son rappel. Ce système de filtre est assimilé à un processus de planification articulatoire. Les erreurs de rappel interviennent selon la somme de «bruit» introduite dans les valeurs d’activation. Le bruit est proportionnel au nombre d’items actifs. Plus les items sont nombreux, plus le bruit est important, moins la sélection est efficace car les valeurs d’activation entre le bruit et certains items sont similaires. Les systèmes de feedback entre différentes couches du réseau stockent sous forme de connexions les associations entre les items ainsi que celles entre le contexte et les items. Ces associations sont des indices temporels pour le rappel. Ce sont des patrons d’activation dont le poids décroît avec le temps et que seule les répétitions permettent de réactiver.

La volonté de décrire plus finement le fonctionnement de la boucle phonologique. a conduit Hitch, Burgess, Towse et Culpin (1996) à étudier les mécanismes sous-tendant le phénomène de groupement temporel qui est la segmentation d’une séquence d’items en petites sous séquences connue pour favoriser une meilleure qualité de rappel. Dans une série d’expériences de rappel sériel immédiat de mots, Hitch et coll. (1996) ont montré que le groupement temporel impliquait la composante de stockage de la boucle phonologique. tout en étant indépendant des caractéristiques phonologiques et de longueur d’items. Ceci n’étant pas cohérent avec les prédictions du modèle classique de MDT, Hitch et coll. (1996) ont tenté de spécifier le fonctionnement de la boucle phonologique sur la base d’une architecture connexionniste. Version modifiée du modèle de Burgess et Hitch (1992), ce modèle possède les mêmes attributs et spécifie davantage les particularités de certaines couches d’unités. Par exemple, la couche d’unité d’entrée phonologique correspondrait au stock phonologique alors que le feedback partant de la couche d’unités de sortie vers la couche d’entrée phonologique assurerait le rafraîchissement des items associés au contexte. La caractéristique essentielle du modèle réside dans la couche d’unités de contexte assimilée à une fenêtre mobile où chaque unité est activée pour une courte durée, créant ainsi un recouvrement de contexte entre les items adjacents. Ici, les associations inter item n’existent pas indépendamment du contexte. Les erreurs de rappel s’expliquent par l’impact du bruit associé aux valeurs d’activation des unités et par le déclin des associations de contexte inter item. La couche d’unités de contexte se déclenche chaque fois qu’une nouvelle séquence est présentée. Selon Hitch et coll. (1996), la fenêtre mobile suppose une série d’oscillateurs temporels reflétant le rythme de présentation des listes. Le groupement temporel, considéré comme la modification d’étiquetage des items à leur position sérielle d’origine, induirait la production d’indices temporels distincts constitutifs des sous-séquences qui faciliteraient le rappel de la séquence entière.

Dans une troisième version (Burgess & Hitch, 1999), le filtre de sélection des items est directement implémenté au niveau de la couche d’unités de mot où l’unité la plus active est sélectionnée puis associée au contexte et aux unités phonologiques. Ce modèle révisé tente de rendre compte des phénomènes d’apprentissage et de déclin des informations en intégrant des valeurs de poids de connexion qui évoluent selon des règles d’apprentissage. D’un point de vue fonctionnel, le rappel oral et la répétition articulatoire correspondent à une même activité qui nécessite la mise à jour constante des informations de contexte, l’inhibition progressive des items récemment activés et la sélection de l’item suivant le plus actif pour le rappel. En définitive, les informations de contexte et les mécanismes d’activation et d’inhibition des unités phonologiques assurent conjointement la restitution ordonnée des items. En revanche, cette modélisation ne prévoit pas l’intervention d’un système de contrôle pour la répétition et le rappel des items, qui paraît nécessaire pour rendre compte des différentes stratégies de maintien et de récupération de l’information.