1.3.2. L’exécuteur central : un système unitaire ?

Dans le modèle de Baddeley et Hitch (1974) les capacités de traitement de la MDT reposent sur une instance unique de traitement : l’administrateur central, qui est conçu comme un pool de ressources allouées au traitement et au stockage des informations. À la suite des travaux réalisés sur la capacité de la MDT, notamment dans le champ d’étude de la compréhension du langage, un certain nombre de questions sur la relation hypothétique entre des capacités spécifiques et différentes composantes de la MDT se sont fait jour. Une nouvelle façon d’envisager la notion de MDT a été alors de proposer l’existence non pas d’un seul système de traitement mais de plusieurs sous-systèmes spécialisés dotés chacun d’une fonction de traitement. En même temps, des tentatives ont été entreprises pour trouver une mesure capable de rendre compte de la capacité générale de la MDT (Daneman et Green, 1986, cités dans Ehrlich et Delafoy, 1990). Celles-ci n’ont pas donné de résultats concordants et, actuellement, il n’existe pas de mesure vraiment fiable. Cela suggère que la MDT ne possède pas un pool de ressources unitaire mais des capacités fonctionnelles spécifiques. Cette conception soulève la question de l’existence d’une multitude de processus exécutifs et pose le problème de leur modélisation. Toutefois, nous avons vu que les modèles utilisant la métaphore neurologique parvenaient à résoudre ce problème d’espaces multiples en faisant l’hypothèse d’une ressource unique représentée par des mécanismes d’activation automatiques ou contrôlés.

Pour sa part, Baddeley a proposé dès 1986 non pas une distinction entre plusieurs sous-systèmes supplémentaires mais une dissociation entre deux aspects principaux de l’administrateur central : ses ressources et son rôle de contrôle et de planification. Dans cette perspective, l’administrateur n’est plus envisagé comme un système unitaire. Il constitue un système hybride où le pool de ressources est à la fois un espace de traitement (métaphore spatio-temporelle) et un ensemble de processus d’activation et d’inhibition pour la sélection et le contrôle de la mise en oeuvre des stratégies (métaphore énergétique). Les traitements contrôlés qui s’opèrent en MDT deviennent le produit de processus d’activation et d’inhibition. Autrement dit, l’instance de contrôle s’apparente à une propriété émergente de ces processus attentionnels (Barrouillet, 1996). De notre point de vue, ce changement de perspective nous autorise à adopter le terme de processus exécutifs plutôt que la notion d’administrateur central pour désigner le système attentionnel de la MDT.

Letho (1996) apporte des arguments empiriques en faveur d’un exécuteur central non unitaire en étudiant la relation entre les capacités de MDT et des tests cliniques destinés à évaluer les fonctions exécutives de contrôle et de planification. Le calcul des corrélations entre les performances obtenues à des tâches d’empan complexe (empan de mots et vérification de phrases; empan de mots et résolution de calculs arithmétiques simples) et de mise à jour (Running Span) montre des inter corrélations significatives. En revanche, l’examen de la relation entre les tâches d’empan complexe et les tests cliniques (tour de Hanoï ; tâche de poursuite d’un but) ne révèlent aucune corrélation significative. Selon Letho (1996), ces résultats suggèrent premièrement que la tâche de mise à jour est pertinente pour explorer les capacités de l’exécuteur central. Deuxièmement, l’absence de corrélation entre les résultats aux tests cliniques et aux tâches d’empan complexes suggère que les fonctions exécutives ne sont pas en relation étroite avec un facteur général de capacité. Autrement dit, ces données suggèrent l’existence de fonctions exécutives différenciées, non centrales, qui opéreraient de manière relativement indépendante.

Un argument supplémentaire en faveur d’une conception modulaire de l’instance de contrôle de la MDT est issu du modèle du système superviseur attentionnel (Norman et Shallice, 1980, 1986, cités dans Shallice, 1995), sur lequel Baddeley (1986) s’appuie pour décrire les fonctions de l’administrateur central. Selon ce modèle, le système cognitif serait doté d’un superviseur capable d’assurer des fonctions de programmation, de régulation et de contrôle du comportement (Shallice, 1995). Le caractère général de ces fonctions soulève la question de la configuration modulaire ou équipotentielle du système superviseur. Shallice (1995) préfère une conception modulaire au regard des données psychophysiologiques. Selon lui, « l’idée selon laquelle le système superviseur est intérieurement modulaire est compatible avec les témoignages psychophysiologiques de dissociations entre les différentes fonctions de supervision à l’intérieur des lobes frontaux ». En effet, des données issues de l’imagerie cérébrale (§1.3.6.) sont en faveur d’une conception non unitaire de l’exécuteur central.

Dans son article de 1996 consacré à l’exploration de l’exécuteur central, Baddeley se positionne en faveur d’une conception modulaire de celui-ci. Toutefois, la question de savoir si l’exécuteur central peut être envisagé comme un système coordinateur de multiples systèmes exécutifs ou bien comme un ensemble de processus de contrôle autonomes demeure ouverte dans sa conclusion.