1.3.3. Le modèle du système superviseur de Norman et Shallice (1980, 1986)

Le modèle de contrôle attentionnel de l’action de Norman et Shallice (1980, 1986, cités dans Shallice, 1995) a constitué une possibilité de décrire les fonctions de planification et de contrôle attribuées par Baddeley à l’administrateur central.

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Fig. 1.10.— Le modèle de Norman et Shallice (1980, 1986)

Dans ce modèle, deux niveaux de conduite sont caractérisés par des programmes d’action différents. Un premier niveau de conduite correspond au déclenchement automatique de schémas de pensée ou d’action de bas niveau pouvant se trouver en compétition inhibitrice. Le mécanisme de sélection des schémas, ou Gestionnaire de l’Ordonnancement des Contraintes, repose sur leurs seuils d’activation respectifs. Son fonctionnement automatique vise donc essentiellement les schémas des conduites familières de routine. Dans les situations où la sélection routinière de pensées et d’actions est inefficace parce que le contexte comporte une nouveauté ou nécessite une prise de décision qui réoriente l’action, le modèle prévoit un Système Attentionnel Superviseur (S.A.S) capable de mettre en oeuvre un programme de pensée ou d’action de plus haut niveau. De tels programmes permettraient d’inhiber les réponses automatiques pour initier un programme d’action plus adapté. Le système superviseur vise donc à moduler le fonctionnement du reste du système. Il exerce une influence sur l’inhibition des schémas de fonctionnement automatiques par l’intermédiaire d’un contrôle sur les paramètres de résolution. Ainsi, les intentions liées aux buts de la tâche influencent les processus d’inhibition. Pour Arbuthnott (1995), cela suppose un processus de comparaison entre la représentation des stimuli liés à la tâche et celle des buts qui lui sont reliés. Si le résultat de la comparaison est cohérent, il reçoit une activation. Sinon, il reçoit une inhibition. La figure 1.10. illustre le fonctionnement du modèle.

L’unité étiquetée « Activateur de la base de données » correspond à un ensemble de sous-systèmes dotés de fonctions de contrôle. Ceux-ci déclenchent le choix d’un schéma de pensées ou d’actions dans l’unité « Gestionnaire de l’ordonnancement des contraintes ». Le choix d’un schéma intervient lorsque son niveau d’activation dépasse un seuil donné. Une fois actif, le schéma se réalise dans son intégralité, sauf si l’action inhibitrice d’autres schémas déclenchés par l’activateur de base de données intervient, ou si un programme de niveau supérieur est initié. La sélection d’un schéma active d’autres schémas associés parfois nécessaire pour la réalisation du programme d’actions et déclenche la sélection de variables liées aux buts spécifiques du programme. L’unité étiquetée « Structures de traitement psychologique » correspond aux opérations du système qui s’exécutent en temps réel, et qui sont impliquées dans le contrôle décentralisé des mécanismes d’inhibition. Dans ce modèle, un second mécanisme de contrôle de plus haut niveau est nécessaire pour rendre compte des actions volontaires associées aux intentions et aux capacités cognitives. Ce système correspond à l’unité étiquetée « Système Superviseur Attentionnel ». Il ne contrôle pas directement le comportement mais agit dans les situations où la sélection routinière d’actions est inadéquate pour moduler l’activation et l’inhibition de schémas d’actions spécifiques. De cette manière, le S.A.S maintient les buts de l’action, contrôle l’efficacité d’une stratégie et modifie son décours si elle s’avère inadaptée.

Shallice (1995) avance deux raisons supplémentaires pour justifier l’existence d’un S.A.S. La première est que le gestionnaire de l’ordonnancement des contraintes dépend de paramètres déclencheurs automatiques résultant des renforcements subis par l’organisme. Les schémas de routine interviennent donc chaque fois que l’organisme est en présence de stimuli déclencheurs. Sans contrôle supérieur, on assisterait à un comportement de persévération. Sans le S.A.S producteur de réponses planifiées, le gestionnaire de l’ordonnancement des contraintes pourrait conduire à un comportement opposé de grande distractibilité, survenant à l’occasion de l’activation de schémas voisins associés au premier schéma d’action automatique. Cette propagation de l’activation favoriserait la capture du comportement par des éléments non pertinents de l’environnement.

Les données empiriques qui permettent d’établir un lien entre le S.A.S de Norman et Shallice (1980, cités dans Baddeley, 1996) et l’exécuteur central de Baddeley (1986) résultent principalement des performances à une tâche de production aléatoire de chiffres ou de lettres appelée « Random Generation » (Baddeley, 1966, cité dans Baddeley, 1992b et Baddeley, 1996). Celles-ci montrent que plus la cadence de production est rapide, moins les séquences produites sont aléatoires. Une façon d’interpréter ces résultats est de supposer que la production de lettres implique des schémas routiniers de récupération basés sur des mécanismes de récitation de l’ordre alphabétique ou d’acronymes. Une production aléatoire nécessite alors l’intervention constante du S.A.S. pour inhiber ces séquences stéréotypées. Selon Baddeley (1996), la réduction du caractère aléatoire des séquences en condition de production rapide dépendrait du temps nécessaire au passage d’un plan de récupération stéréotypé à un plan non stéréotypé d’une part, et au contrôle de la production d’autre part. En d’autres termes, la production aléatoire impliquerait les fonctions de planification et de contrôle de l’exécuteur central de la MDT. Le Random Generation constitue de ce fait une tâche secondaire précieuse pour charger l’exécuteur central et étudier ses implications dans diverses activités de contrôle (Baddeley, 1992b). Néanmoins, Towse (1998) montre que cette tâche ne charge pas l’exécuteur central de manière équivalente selon que la production aléatoire utilise une modalité de production orale ou motrice (utilisation du pavé numérique). En effet, comparativement à la production orale, l’activité motrice favorise la production aléatoire et n’est pas affectée par la quantité d’items à produire. Selon Towse (1998) cette différence s’explique par le fait que la production orale nécessite effectivement la production des réponses possibles, alors qu’en condition de production motrice elles sont disponibles en permanence sur le pavé numérique. Par ailleurs, lorsque la quantité d’items à produire oralement augmente, la sélection des candidats potentiels pour la production est rendue plus difficile. Ces résultats suggèrent que la production aléatoire peut refléter l’efficacité de fonctions exécutives distinctes et suppose donc l’existence d’un exécuteur central non unitaire. Ainsi, dans une autre série d’expériences, Towse et Valentine (1997) ont montré que la production aléatoire de chiffres reposait sur des mécanismes comme la mémorisation de la fréquence de sélection des combinaisons d’items déjà produites et la capacité à inhiber les suites stéréotypées, c’est-à-dire des candidats induits par la sélection précédente.