2.1.2. Contribution des études en imagerie cérébrale

Ces études utilisent des techniques d’imagerie cérébrale structurelles ou fonctionnelles. La première correspond à l’Imagerie par Résonance Magnétique (I.R.M.) qui permet d’explorer les régions cérébrales dans différents plans en faisant appel au champ magnétique. Elle fournit une reconstruction exacte des structures du cerveau, et offre une visualisation précise des différentes régions cérébrales. La seconde technique, la T.E.P., permet d’observer le fonctionnement du cerveau par l’évaluation de l’activité métabolique. Il repose sur la détection de particules radioactives (positons) émises par un marqueur. L’imagerie cérébrale permet d’explorer l’activité et l’architecture du cerveau d’individus normaux ou de patients atteints de troubles neurologiques.

Dans le cadre de travaux sur l’activité cérébrale normale, une étude sur la relation entre les processus attentionnels et les émotions a été réalisée par Lane et coll. (1997, cités dans Davidson et Irwin, 1999) grâce au T.E.P. Dans cette étude, une activation du cortex cingulaire antérieur, connu pour jouer un rôle dans les processus attentionnels, a été observée lorsque l’attention était orientée vers les aspects émotionnels d’une stimulation en comparaison avec la situation ou l’attention était portée sur des aspects non émotionnels. Ces résultats ont été interprétés comme l’indice d’une implication probable du cortex cingulaire antérieur dans les aspects attentionnels de l’émotion.

Selon Davidson et Irwin (1999), une des fonctions du processus émotionnel consiste à organiser l’action et à diriger le comportement vers des buts appropriés à l’organisme. Des données en neuroimagerie, (Ledoux, 1996, cité dans Davidson et Irwin, 1999 ; Davidson et Irwin, 1999) étayent cette hypothèse en montrant que différentes régions sont engagées dans le processus émotionnel. Par exemple, le cortex préfrontal jouerait un rôle considérable dans la représentation de l’affect. La partie ventro-médiale du cortex préfrontal serait impliquée dans la représentation des éléments positifs et négatifs des états émotionnels, alors que la partie dorso-latérale serait impliquée dans la représentation des buts vers lesquels converge le comportement. Quant à l’amygdale, elle jouerait un rôle dans la perception des indices émotionnels et dans la réponse émotionnelle, en particulier pour l’affect négatif comme la peur.

D’autres travaux en neuropsychologie, notamment ceux de Damasio (1994), se sont intéressés aux mécanismes neuraux impliqués dans le raisonnement et la perception des émotions. Selon Damasio (1994) l’expression et la perception émotionnelles sont impliquées dans la faculté de raisonnement. Cette idée repose sur le fait que les circuits neuronaux à la base de la perception émotionnelle ne sont pas seulement situés au niveau du système limbique2, mais également dans certaines parties du cortex préfrontal ainsi que dans les régions où se projettent les signaux en provenance du corps.

Damasio (1994) s’est appuyé sur une série d’observations en neuropsychologie pour discuter de l’interaction entre les mécanismes des émotions et le raisonnement. Sa première observation a concerné le cas de Phineas Gage3, atteint d’une blessure à la tête causée par la pénétration d’une barre à mine dans une partie de son cerveau engendrant de graves lésions du cortex préfrontal et modifiant son comportement (personnalité inconstante et relations sociales détériorées) sans atteindre ses facultés intellectuelles. Ce cas, étudié a posteriori, a suggéré que certains systèmes neuraux du cerveau humain étaient impliqués dans le raisonnement tout en mettant en jeu les dimensions sociales et personnelles du raisonnement. L’étude plus approfondie de la trajectoire de la barre à mine réalisée par simulation à partir des photographies a permis de situer la lésion au niveau de la région préfrontale ventro-médiale. Celle-ci est aujourd’hui connue pour jouer un rôle capital dans les processus de prise de décision.

Ces hypothèses explicatives des conséquences des lésions situées au niveau de la région préfrontale ventro-médiale ont été corroborées, notamment par l’observation d’un patient atteint d’une lésion préfrontale dont les modifications du comportement, similaires à celles de Phinéas Gage, se traduisaient par une incapacité à prendre des décisions et à planifier efficacement le décours des activités associées à une diminution des réactions émotionnelles et de leur perception. Damasio (1994) a interprété cette configuration de troubles comme l’indice d’un rapport étroit entre l’absence d’émotions et la perturbation des facultés de prise de décision et de planification. Selon lui, les systèmes neuraux situés au niveau préfrontal sont impliqués à la fois dans les facultés de planification et de prise de décision, dans l’élaboration de réactions émotionnelles et dans la capacité de maintenir temporairement en mémoire l’image d’un objet. En effet, la prise de décision dans le domaine personnel et social comporterait de nombreuses incertitudes quant à leurs conséquences directes et indirectes sur l’individu. Ces contraintes nécessiteraient la mobilisation de multiples informations relatives au monde interne et externe de l’individu, c’est-à-dire à la récupération, au maintien et à l’attention portée sur les informations distribuées dans le cerveau parmi lesquelles certaines correspondraient à l’équilibre interne du corps. Ainsi, les processus de perception émotionnelle impliqués dans la régulation de l’état du corps, seraient aussi engagés dans la prise de décision. Le cerveau serait organisé de telle sorte que les systèmes impliqués dans le raisonnement et la prise de décision seraient inter reliés avec ceux qui sous-tendent la régulation biologique pour répondre aux impératifs de survie de l’espèce. Ici, bien que l’émotion concerne directement l’état du corps, elle constitue un processus cognitif et requiert le concours de structures corticales et sous-corticales. Elle implique les circuits neuraux des mécanismes émotionnels préprogrammés et les circuits plus élaborés réclamant l’intervention des cortex préfrontaux et somatosensoriels.

Damasio (1994) envisage l’effet du facteur émotionnel sur l’activité cognitive par le biais de trois composantes impliquées dans la formation d’un lien causal entre l’événement inducteur et l’état du corps. Elles correspondent aux représentations sensorielles de l’inducteur émotionnel, aux changements de l’état du corps et à la convergence des signaux provenant de l’inducteur et des changements corporels qui en découlent. Cette dernière module l’activité cognitive, elle induit des changements dans la vitesse à laquelle les images sont engendrées et utilisées ainsi qu’un changement dans le mode de raisonnement appliqué à ces images. Dans le cas de la tristesse par exemple, l’activité cognitive se caractérise par la lenteur de formation des images, la faiblesse des processus d’association entre ces images et la concentration sur les mêmes images. Sur le plan comportemental, cet état s’accompagne d’une inhibition motrice et intellectuelle.

Selon Damasio (1994), la conséquence d’une réponse comportementale à un problème est toujours reliée à une sensation plaisante ou déplaisante. Cette association entre la perception de l’état somatique et une image particulière se réalise grâce à un système automatique d’appréciation des conséquences des actions : les marqueurs somatiques, qui permettent de rejeter ou de valider certaines actions. Ces marqueurs somatiques s’élaboreraient au cours du développement par association entre les situations, les états qu’elles induisent et leurs conséquences prévisibles sur l’organisme. Ils auraient pour siège le cortex préfrontal où convergent les informations provenant de l’environnement, les informations liées à la perception des modifications de l’état du corps associées à certaines situations rencontrées au cours du développement, et les informations sur la mobilisation des mécanismes moteurs associés à l’état du corps.

En dépit des divergences sur la question d’une différenciation de systèmes cérébraux spécifiques aux traitements émotionnels et cognitifs (Ledoux, Gray), les auteurs des études sur les circuits neuronaux et les régions cérébrales, admettent qu’il existe une réelle interaction entre les processus émotionnels et cognitifs. Aujourd’hui, les projections nerveuses vers les régions cérébrales responsables des traitements cognitifs et émotionnels sont identifiées. Cela offre une meilleure compréhension des modulations réciproques entre la réaction émotionnelle et l’activité cognitive. Par exemple, la double implication du cortex préfrontal dans les comportements affectifs et décisionnels montre qu’il constitue une zone clef d’intégration de diverses informations. L’hypothèse des marqueurs somatiques (Damasio, 1994) lui attribue également un rôle central dans l’émergence d’un comportement émotionnel.

Ces données motivent donc une approche expérimentale de l’influence d’un état émotionnel sur l’activité cognitive et en particulier sur les opérations contrôlées en MDT. En effet, grâce à l’imagerie cérébrale, Drevets et Raichle (1998) ont décelé un phénomène de réduction de l’activité des régions responsables des traitements cognitifs (cortex préfrontal dorsolatéral engagé dans MDT verbale) lorsque les sujets faisaient l’expérience d’une émotion négative. À l’inverse, l’activité des régions impliquées dans le traitement émotionnel (cortex cingulaire ventral antérieur activé par l’anxiété) diminuait lorsque les sujets étaient engagés dans des tâches cognitives nécessitant un coût attentionnel élevé. Selon Drevets et Raichle (1998), ce phénomène de désactivation des régions cérébrales est cohérent avec le modèle traditionnel de capacités limitées supposant que la somme d’informations disponibles dans le système cérébral nécessite une variété de mécanismes attentionnels capables d’assurer la sélection des traitements en compétition. La réduction de l’activité cérébrale dans le cortex préfrontal dorsolatéral suggère que l’émotion interfère avec les performances cognitives. De même, la réduction de l’activité cérébrale dans les régions responsables du traitement émotionnel est interprétée comme la conséquence d’une redistribution des ressources de traitement vers différents systèmes en fonction du coût attentionnel exigé par la tâche. Ici, la désactivation des régions responsables des traitements émotionnels reflète la réduction des ressources de traitement allouées à l’évaluation émotionnelle. Autrement dit, l’accès aux informations des régions responsables du traitement émotionnel est empêché lorsque l’activité cognitive requiert un haut niveau d’attention.

Notes
2.

Partie du système nerveux central qui se situe à sa base et qui comprend la région septale, le fornix, l’hippocampe, le compleXE amygdalien et les cortex insulaire et fronto-orbitaire postérieur.

3.

Chef de chantier de construction de voies ferrées qui a vécu à la fin du XIXE siècle