2.2.1.2. Performances de sujets anxieux à une tâche de compréhension de texte en MDT

Calvo et Eysenck (1996) ont étudié les stratégies de traitement en MDT chez les sujets à l’anxiété trait élevé avec un paradigme de compréhension de texte consistant à présenter phrase par phrase ou mot par mot des textes scientifiques avec ou sans interférence (suppression articulatoire et discours non pertinent). La présentation phrase par phrase était moins contraignante que la présentation mot par mot, car cette dernière impliquait un stockage et une mise à jour continue du stock pour l’intégration du sens du texte sans possibilité de retour en arrière ou d’allongement du temps de lecture. Les résultats ont montré qu’en condition d’interférence et de présentation phrase par phrase, les anxieux produisaient plus de répétitions à voix haute que les non anxieux, sans pour autant commettre plus d’erreurs de compréhension. En condition d’interférence et de présentation mot par mot, les anxieux ont obtenu un niveau de compréhension plus faible que les non anxieux alors qu’en l’absence d’interférence, leur compréhension était égale. Calvo et Eysenck (1996) ont interprété ces données en supposant que la boucle phonologique constituait, chez les sujets anxieux, un mécanisme auxiliaire compensatoire dans l’activité de compréhension de texte. Autrement dit, les anxieux auraient recours à cette composante pour compenser les contraintes d’exécution qui se caractérisent par une impossibilité de retours en arrière et une impossibilité à limiter le rythme de lecture. Cette stratégie de compensation leur permettrait de conserver un niveau de performance identique à celui des sujets non anxieux. Cette interprétation met en évidence le rôle adaptatif de l’anxiété dans la mobilisation des ressources. En effet, les performances des sujets anxieux sont affectées seulement si les stratégies compensatrices ne peuvent être utilisées (présentation mot par mot). Cette explication repose sur la théorie de l’efficience de traitement d’Eysenck et Calvo (1992), selon laquelle l’état d’anxiété constitue une interférence directe sur le système cognitif et une mobilisation de stratégies compensatrices indirectes (figure 2.1.).

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Fig 2.1 Représentation schématique de l’effet de l’anxiété sur les performances cognitives selon le modèle d’Eysenck et Calvo (1992)

Dans le modèle, l’état d’anxiété est déterminé par l’anxiété trait des sujets et par la situation stressante dans laquelle ils sont. Il se traduit par la production de pensées intrusives qui constituent le premier type d’interférence affectant automatiquement les processus cognitifs et réduisant la capacité de l’exécuteur central disponible pour la tâche (Rapee, 1993). Le phénomène de compensation indirecte serait une réponse pour éviter les conséquences redoutées d’une faible performance qui reposerait sur la mobilisation de stratégies permettant de contrebalancer la réduction de la capacité de l’exécuteur central. Ces stratégies assureraient l’efficacité des performances (qualité des performances) au détriment toutefois de l’efficience des processus de traitement (rapport entre performances et quantité de ressources de traitement utilisée). En revanche, lorsque les ressources ou les stratégies supplémentaires ne peuvent pas être mobilisées (exemple : contrainte de vitesse de lecture dans la tâche de compréhension de texte), l’anxiété affecte les performances. Cette théorie, où le niveau de difficulté de la tâche est envisagé en termes de mécanismes, semble mieux rendre compte de la complexité et de l’inconsistance des données relatives à l’influence de l’état émotionnel.

L’influence des pensées intrusives et leurs relations avec l’exécuteur central ont été étudiées par Teasdale, Proctor, Lloyd et Baddeley (1993) qui se sont intéressés aux interférences produites par une activité de rappel immédiat ou différé en MDT sur la production spontanée de pensées intrusives non liées à un état émotionnel. Cette étude a révélé trois phénomènes spécifiant la manière dont les ressources sont prioritairement mobilisées pour l’exécution de la tâche ou pour la production des pensées intrusives. Premièrement, la production de pensées intrusives dépend des ressources de contrôle de l’exécuteur central. Ce résultat a été répliqué par Rapee (1993) et Teasdale, Dritschel, Taylor, Proctor, Llyod, Nimmo-Smith et Baddeley (1995) dans des études mettant en évidence l’interférence du système exécutif avec l’apparition naturelle de pensées intrusives. Deuxièmement, les tâches de MDT requérant en continu les ressources de l’exécuteur central interfèrent avec la production des pensées. Enfin, troisièmement, une conscience élevée des stimuli de la tâche est l’indice d’un déploiement des ressources pour le contrôle de l’activité cognitive plutôt que pour la production des pensées intrusives. Le traitement d’une tâche cognitive peut donc interrompre le flux de pensées intrusives naturelles si l’espace temporaire nécessaire à leur production, que constitue la MDT, est chargé par les informations relatives à la tâche. En fait, il semblerait que le partage des ressources entre le traitement des informations non pertinentes liées à l’émotion et le traitement de la tâche cognitive puisse se développer tantôt en faveur des informations pertinentes, tantôt en faveur des informations non pertinentes. L’orientation du partage des ressources est déterminée par de multiples facteurs comme la complexité de la tâche, la qualité des pensées intrusives, la possibilité de développer des stratégies alternatives de compensation. Nous verrons (§ 2.2.2.) comment le modèle explicatif des effets de la dépression d’Ellis et Ashbrook (1988), dont le fondement théorique est similaire à celui d’Eysenck et Calvo (1992), tente de rendre compte de l’effet de ces différentes variables sur la relation entre l’état dépressif et les performances cognitives.