2.2.3. Examen critique

Selon Eysenck et Calvo (1992), les stratégies de traitement déployées par les anxieux consistent, lorsque le niveau de contrainte lié à la tâche le permet, en une mobilisation plus grande des mécanismes de maintien de l’information médiatisés par la boucle phonologique. Toutefois, d’autres données (Eysenck 1985, Van der Linden et coll., 1992) suggèrent que ces mécanismes de répétition et de stockage nécessitent des ressources de traitement et dépendent des capacités de l’exécuteur central. Cela semble contradictoire avec l’hypothèse d’Eysenck et Calvo (1992) selon laquelle de nouvelles stratégies de traitement compenseraient la diminution des ressources de l’exécuteur central. Autrement dit, l’idée que des mécanismes coûteux en ressources compensent la diminution des ressources de traitement paraît incompatible avec l’hypothèse de ressources limitées. Cette contradiction suggère qu’une explication en termes d’allocation de ressources est insuffisante pour rendre compte de la modulation des traitements lors d’une expérience émotionnelle. Il semble en définitive que l’hypothèse de compensation, requérant l’estimation du coût respectif des opérations de stockage dynamique et de traitement de l’information, découle directement des spécificités de la tâche de compréhension de texte utilisée par Eysenck et Calvo (1996). En effet, au cours de l’activité de compréhension de mots, la mobilisation de la boucle phonologique. pour leur répétition peut varier de manière significative. En revanche, pour une tâche plus complexe comme le Running Span (Partie II, Chapitres I & II) où la répétition systématique des items est requise pour assurer leur mise à jour, une telle variation, interprétée par Eysenck et Calvo (1996) comme une compensation, est beaucoup moins probable. Aussi, l’explication des effets de l’anxiété avancée par les auteurs paraît difficile à généraliser. Par ailleurs, l’hypothèse d’une compensation active assurant la flexibilité du système cognitif suppose une distinction entre le niveau de performances et l’efficience des processus de traitement, laquelle nécessite une mesure séparée de ces deux variables qui paraît difficile à obtenir expérimentalement. Enfin, bien qu’inscrites dans la continuité des travaux d’Eysenck les données de Darke (1988) relatives à l’effet de l’anxiété sur les capacités de stockage semblent contradictoires avec l’idée que l’anxiété provoque une mobilisation importante de l’activité de la boucle phonologique.

Le modèle d’allocation des ressources d’Ellis et Ashbrook (1988, 1989) suppose que les performances en mémoire sont positivement corrélées avec le degré d’effort cognitif alloué à la tâche. Plus la tâche est coûteuse en ressources, plus l’effort cognitif est déployé et plus les performances sont élevées. Cette corrélation n’est toutefois pas toujours observée (Ellis et Ashbrook, 1988, 1989) car elle dépend du fait que le coût de l’activité cognitive soit plus ou moins proche des limites de traitement des sujets.

Malgré les tentatives pour spécifier les variables déterminant le déclin des performances chez des sujets induits dans un état dépressif, la théorie d’allocation des ressources d’Ellis et Ashbrook (1988) se confronte à la difficulté d’expliciter comment les ressources du système exécutif sont orientées vers tel traitement plutôt qu’un autre. En effet, le contrôle des variables relatives aux caractéristiques du matériel, à la tâche, à la personnalité du sujet, etc. requiert des mesures difficiles à réaliser. Par exemple, des variables comme le coût cognitif de la tâche ou encore l’intensité de l’état émotionnel, qui déterminent la quantité de ressources requises et qui spécifient théoriquement la manière dont le partage des ressources s’opère, sont encore difficiles à définir et à évaluer avec exactitude. Un moyen d’évaluer la complexité d’une tâche est aujourd’hui de la « décortiquer » pour spécifier la nature des processus qu’elle implique. Concernant l’intensité de l’émotion, les chercheurs se tournent vers des mesures physiologiques (rythme cardiaque, R.E.D.) qui, bien que ne rendant pas compte de la spécificité de l’état émotionnel et variant considérablement d’un individu à l’autre (Necka, 1997), fournissent un indicateur du niveau d’éveil physiologique associé à l’émotion ressentie.