2.3. Induire une émotion en laboratoire

2.3.1. Quelques techniques d’induction

À l’heure actuelle, les techniques d’induction constituent la meilleure manière de standardiser des observations tout en manipulant l’état émotionnel comme une variable indépendante. Dans leur revue de question consacrée aux états tristes et joyeux, Gerrards-Hesse, Spies et Hesse (1994) ont distingué cinq techniques en tenant compte du type de matériel utilisé et du fait que l’induction se réalise ou non à l’insu du sujet. La première catégorie correspond aux méthodes utilisant l’autosuggestion. Aucun matériel inducteur n’est présenté mais les sujets activent mentalement des états émotionnels par l’intermédiaire de l’hypnose ou de l’imagination. Dans les deux cas, il est demandé explicitement au sujet de se remémorer des situations personnelles associées à des états émotionnels tristes ou joyeux. Une des limites de la technique de suggestion hypnotique est qu’elle est efficace seulement pour 20 % de la population.

La seconde catégorie utilise un matériel inducteur visuel et/ou auditif et repose sur des instructions explicites demandant au sujet de se mettre dans l’état suggéré par le matériel. La technique d’induction de Velten (1968, cité dans Seibert & Ellis, 1991a), dite de génération mentale d’états émotionnels guidée est une bonne illustration. Elle repose sur la présentation de films, d’images ou de musique ayant une tonalité émotionnelle spécifique. Le sujet utilise activement ce matériel en imaginant une période de sa vie où il a pu faire l’expérience de l’état émotionnel évoqué pour se mettre dans cet état. La procédure de Seibert et Ellis (1991a) repose sur le même principe de suggestion mais utilise un matériel différent. L’utilisation de cette technique dans le cadre de notre D.E.A. (Vieillard S., 1996) a révélé que son efficacité était moins bonne pour l’étude des effets de l’induction émotionnelle sur l’activité en MDT que sur la récupération d’information en MLT.

La troisième catégorie utilise la présentation d’un matériel inducteur, mais l’induction se fait à l’insu du sujet. Elle repose sur l’idée que le matériel (images, films, histoire, musique) influence automatiquement l’état émotionnel du sujet car celui-ci s’engage dans une activité d’évaluation cognitive (Lazarus, 1993). En effet, selon Lazarus (1982, cité dans Eysenck et Keane, 2000), l’évaluation cognitive joue un rôle crucial dans l’expérience émotionnelle. Elle se subdivise en trois formes spécifiques d’évaluation : (a) une première évaluation du caractère positif ou négatif de la situation en rapport avec le bien-être du sujet; (b) une seconde évaluation permettant au sujet d’estimer les ressources disponibles pour faire face à la situation et enfin; (c) une étape de réévaluation pour contrôler les stratégies de réponse face à la situation.

La quatrième catégorie vise à manipuler les besoins d’accomplissement et de réussite du sujet. L’induction consiste, selon que l’on souhaite générer la satisfaction ou la frustration de ces besoins, à donner un feedback erroné positif ou négatif sur les performances à des tests censés évaluer les habiletés cognitives. Cette procédure active une réponse émotionnelle liée à la satisfaction ou à la frustration des besoins.

Enfin, la cinquième catégorie manipule directement l’état physiologique par l’utilisation de drogues ou des expressions faciales. Par exemple, Leventhal (1980, cité dans Gerrards-Hesse et coll., 1994) a montré que l’adoption de certaines postures ou mimiques faciales influençait l’état émotionnel. La contraction des muscles du visage comme le froncement des sourcils favoriserait l’émergence d’un état émotionnel négatif. Toutefois, la seule utilisation des postures et expressions faciales paraît limitée pour produire un état émotionnel suffisamment intense.

Une difficulté commune à l’ensemble des techniques d’induction concerne la mesure de l’intensité de la réponse émotionnelle (Jones, 1979). L’émotion induite en laboratoire est probablement différente de celle éprouvée en temps normal autant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. L’expérimentation constitue une situation sociale particulière où le sujet peut tenter de deviner l’hypothèse sous-jacente à l’étude pour répondre aux attentes supposées ou au contraire y résister. Aujourd’hui, il est encore difficile d’évaluer le degré de contrôle qu’exerce les sujets induits sur leur état.