2.6. Discussion

D’après les scores des sujets induits sur les échelles d’auto-évaluation de l’état émotionnel, il est peu probable que l’absence de différence entre les groupes provienne d’une insuffisance de l’induction puisque sa validité a été montrée dans l’expérience 1.

Bien que nos résultats révèlent un effet presque significatif de l’induction sur les positions sérielles au rappel, le niveau de difficulté de la condition d’empan 3 paraît faible pour interférer fortement avec les opérations de traitements. L’absence d’effet massif de l’induction est donc conforme avec l’hypothèse qu’une tâche peu coûteuse concède une part de ressources suffisante pour le traitement des informations liées à l’émotion. Néanmoins, cette interaction presque significative entre les positions sérielles au rappel de trois items vient confirmer le fait, déjà observé dans l’expérience précédente, que l’émotion induite favorise la perte des traces mnésiques maintenues en MDT.

Il est en revanche plus étonnant de ne pas observer d’effet massif de l’émotion sur la qualité ou les latences des réponses à une tâche qui mobilise une grande part des ressources de traitement. Une explication à ce phénomène est toutefois possible à partir des données issues de l’examen des taux et de la nature des erreurs commises au rappel des cinq derniers items. Ces données montrent que le ralentissement du rythme de présentation des consonnes n’améliore nullement le niveau de performance au rappel. Par ailleurs, le taux d’intrusions et d’apparition de nouvelles consonnes suggère que les mises à jour sont problématiques. Aussi, l’effet plancher demeure sur les performances en condition d’empan 5 pour l’expérience 2. Il réduit par conséquent les chances de mettre en évidence des différences significatives entre les deux groupes.

Le fait que la complexité du rappel des cinq derniers items reste constante avec une diminution de la cadence de présentation des listes, conforte l’hypothèse d’une planification rendue difficile par l’activité simultanée de mise à jour et de maintien des consonnes. Cette difficulté, voire cette impossibilité à réaliser correctement les mises à jour soulève la question des limites de capacité de traitement pour une activité cognitive où la charge mnésique est inférieure à l’empan. Ce phénomène est peu compatible avec l’idée d’un fonctionnement automatique de la boucle phonologique. Le processus de maintien de l’information semble au contraire mobiliser un certain niveau de contrôle.

Dans leur modèle de fonctionnement, Morris & Jones (1990) suppose que les opérations de mises à jour pour le Running Span correspondent à un processus continu de suppression et d’adjonction simultanées de consonnes. Nos résultats montrent que ce processus hypothétique génère au moins un tiers d’erreurs pour les empans de trois et quatre items, et devient inopérant pour des empans supérieurs à quatre consonnes. Ces données semblent davantage concorder avec l’idée que l’oubli ’volontaire’ et successif des consonnes non pertinentes, nécessaire à la mise à jour, constitue un mécanisme antagoniste avec le système de répétitions des consonnes. En effet, pour mettre à jour les items, il faut oublier ceux qui ont bénéficié du plus grand nombre de répétitions car ils sont les premiers encodés dans la liste. Cette activité paradoxale ne satisfait pas un modèle de fonctionnement naturel. Ces observations suggèrent que l’accès des informations à la boucle phonologique ainsi que leur exclusion sont des mécanismes hautement contrôlés parfois incompatibles avec les finalités de l’activité de MDT. Dans cette hypothèse, il est difficile de souscrire à l’idée que le processus dynamique de mise à jour mobilise l’exécuteur central mais pas la boucle phonologique.