4.6. Discussion

L’examen des caractéristiques du rappel alphabétique valide l’hypothèse selon laquelle le taux d’erreurs de planification est plus élevé en condition de distance courte qu’en condition de distance moyenne ou longue. Par ailleurs, l’effet inverse du facteur distance sur le taux d’erreurs de rappel suggère que les opérations de stockage et de réorganisation ne sont pas affectées à l’identique par la distance alphabétique. Alors que le taux d’erreurs de rappel croît avec l’augmentation de la distance alphabétique, le taux d’erreurs de réorganisation chute pour les conditions de distance moyenne et longue. Toutefois, les effets contraires du facteur distance sur les deux catégories d’erreurs sont peut-être interdépendants. En effet, il est possible que la dégradation de la qualité du stock phonologique observée pour les conditions de distance moyenne et longue réduise le nombre d’items à réorganiser et, par conséquent, limite pour les mêmes conditions de distance, le taux d’erreurs commises pour la mise en ordre alphabétique.

Les résultats ne montrent pas d’effet significatif des stratégies de réponse sur la qualité du rappel. En revanche, l’interaction significative entre la priorité de réponse et l’empan suggère que pour des empans faibles (quatre et cinq), et en comparaison avec la stratégie de rapidité, la planification préalable de l’ordre des items réduit le temps de restitution. Cela soutient l’idée qu’en situation ordinaire de rappel alphabétique, la restitution orale requiert l’intervention des processus contrôlés de réorganisation.

L’examen des performances à la tâche selon l’état émotionnel des sujets ne met pas en évidence les effets prédits de l’induction sur la qualité du rappel. Un résultat inattendu, toutefois, est l’interaction presque significative entre l’induction et la distance où, contrairement aux sujets contrôle, la qualité du stock phonologique des induits est affectée pour les conditions de distance moyenne et longue. Cette tendance est consistante avec l’effet de la distance observé sur le taux d’erreurs de rappel, et doit être mise en relation avec les latences et la durée des réponses observées chez les induits.

L’interaction significative entre l’induction et la distance sur les latences au rappel alphabétique indiquent que contrairement aux sujets contrôle, les induits mettent moins de temps pour rappeler le premier item quand la distance alphabétique augmente. Chez les induits, l’accroissement du taux d’erreurs de rappel en condition de distance moyenne et longue coïncide avec une réduction des latences et suggère, en regard de l’interaction entre l’induction la distance alphabétique et la priorité de réponse, que la dégradation du stock phonologique pour les distances moyennes et longues résulte d’une planification insuffisante. En d’autres termes, pour certaines listes, les induits passeraient moins de temps à planifier préalablement l’ordre alphabétique des items.

L’interaction entre l’induction et la distance sur la durée des réponses montre qu’en condition de distance moyenne et longue, les induits sont plus lents à restituer les listes. Cela est cohérent avec les données précédentes et suggère que l’induction affecte les opérations de maintien des traces mnésiques. Ce qui se traduit par une réduction du temps de planification, un allongement de la réponse et des erreurs plus nombreuses.

Contrairement à nos hypothèses, ce phénomène s’observe sur les listes censées offrir un bon niveau de discrimination des items. Néanmoins, bien que favorisant la discrimination, l’éloignement alphabétique nécessite en contrepartie une recherche en mémoire plus exhaustive sur la dimension de l’ordre alphabétique. Une explication possible est donc que les latences courtes des sujets induits correspondraient à une stratégie consistant à repérer au plus vite les premiers items pertinents pour le rappel. Cette stratégie du repérage minimum aurait pour conséquences d’allonger les temps de récupération des items subséquents et de favoriser le déclin des traces mnésiques au cours de cette réorganisation tardive. En revanche, la stratégie des sujets contrôle consisterait à allouer plus de temps à la planification préalable des listes en condition de distance moyenne ou longue, ce qui assurerait une réponse plus exacte et moins longue.

L’interaction entre l’empan et l’induction sur les latences au rappel alphabétique indique que seuls les sujets contrôle allongent naturellement leur latence pour les listes les plus longues nécessitant un temps de récupération et de planification plus étendu, alors que les sujets induits ont des latences constantes pour les différentes conditions d’empan. Cela conforte l’hypothèse d’une stratégie spécifique aux induits qui consiste à privilégier la rapidité des traitements, au détriment, parfois, de la qualité du rappel.

Les résultats de cette expérience suggèrent en définitive l’existence possible d’un effet de l’induction sur les stratégies au rappel alphabétique. Comparativement aux contrôle, les induits favorisent une stratégie de ’repérage minimum’ des items. Cela se traduit, pour les conditions de distance alphabétique offrant un bon niveau de discrimination, par des latences plus rapides, lesquelles pourraient témoigner d’un rappel plus facile. Toutefois, l’augmentation de la durée des réponses et la tendance à rappeler moins d’items corrects pour ces mêmes conditions de distance, suggèrent au contraire que la stratégie de repérage minimum affecte les performances au rappel alphabétique des sujets induits.

Nos résultats ne montrent aucun effet de l’induction sur le taux d’erreurs de planification. Quant à l’effet principal de la distance sur les erreurs de planification, il peut s’expliquer par l’interdépendance de nos mesures, car les erreurs de planification liées au facteur distance seraient consécutives à l’altération du stock phonologique.

Dans cette étude, le contrôle de la distance alphabétique a consisté à manipuler uniquement la distance entre les items adjacents, sans prendre en compte la distance entre ceux qui deviennent attenants lorsqu’ils sont classés alphabétiquement. Cette première manipulation paraît donc insuffisante pour contrôler les contraintes de distance alphabétique. Une nouvelle procédure est envisagée où les aspects de similarité ou de dissemblance avec certains segments de l’alphabet seront contrôlés différemment. Parallèlement, la dernière expérience tentera de vérifier si l’effet délétère d’un état émotionnel induit concerne les délais de récupération de chacun des items.

Les mesures physiologiques et l’auto-évaluation de l’état émotionnel n’ont pas permis de différencier les groupes. L’enregistrement du rythme cardiaque démontre que les exigences intrinsèques à la tâche induisent un niveau d’éveil important, rendant difficile la différenciation des modifications internes des induits par rapport aux contrôle. Les modifications physiologiques enregistrées demeurent non spécifiques et informent peu sur l’expérience émotionnelle. Notre difficulté à rendre compte des modifications de l’état émotionnel, alors même que l’altération des performances des induits démontre l’existence d’un changement, est vraisemblablement liée au caractère anxiogène de la tâche et à son effet sur les sujets contrôle qui, même sans avoir eu de feedback négatif, peuvent évaluer leur propres performances comme étant insuffisantes et témoigner, lors de l’auto-évaluation, d’un état émotionnel plutôt négatif. En revanche, l’influence, attestée plus haut, de l’induction émotionnelle sur les performances à la tâche pourrait s’expliquer par un état négatif persistant, consécutif à la manipulation effective des besoins de réussite des participants. Dans le but de résoudre cette difficulté, une nouvelle procédure d’induction, dont le principe est similaire à celle des expériences 1 et 2, est proposée dans la dernière expérience.