5. EXPERIENCE 5

5.1. Objectif de l’étude

Dans l’expérience précédente, nous avons vu que les effets visibles de la procédure d’induction émotionnelle sur les performances se manifestaient principalement par des stratégies de planification différentes selon que les items étaient plus ou moins facilement discriminés. Pour explorer la question de la structure alphabétique du matériel à rappeler sur les processus de planification, un nouveau mode de construction des listes, plus approprié pour rendre compte des distances entre les items, est adopté. Ce nouveau contrôle permettra de réexaminer les stratégies de traitement des sujets induits et contrôle en fonction de nouvelles contraintes de planification mentale.

Cette expérience tente aussi de compléter l’étude de l’influence émotionnelle sur les différents processus de traitement contrôlé en MDT en étudiant plus finement le décours temporel de la restitution orale. Pour cela, le cadre théorique de Cowan (1988, 1993, 1998) offre une hypothèse intéressante sur le rôle des temps intercalés entre chaque item au cours de leur restitution. Cette hypothèse s’inscrit dans une vision hiérarchique de la mémoire où la MCT est une partie active de la MLT. La partie active se décompose en deux sous ensembles d’informations : celles qui sont prises en charge par le focus attentionnel, et celles qui sont disponibles en MCT mais maintenues en dehors du focus attentionnel. L’information maintenue en MCT correspond à une séquence d’unités temporairement actives qui déclinent rapidement si le focus attentionnel n’intervient pas pour les réactiver. Cowan (1993) suppose, par exemple, que le temps écoulé entre chaque restitution orale est mis à profit pour la réactivation successive des items. Autrement dit, ces intervalles de temps permettent la récupération des traces en MCT, et leur prise en charge par le focus attentionnel où des processus d’attention sélective sont impliqués. Selon Cowan, l’exécuteur central assurerait la recherche exhaustive et consciente des informations dans le réseau de connaissances à long terme et serait donc impliqué dans la récupération en MLT des informations utiles pour le traitement en MDT. Dans notre tâche, où le rappel nécessite l’extraction en MLT de l’ordre alphabétique, l’exécuteur central devrait donc être massivement impliqué. Aussi, la distribution des intervalles de temps inter consonnes (T.I.C.) pendant le rappel est examinée pour vérifier si la variabilité de leurs durées est affectée par l’induction.

Le même paradigme expérimental est utilisé. Notons, néanmoins, que cette tâche requiert un niveau de contrôle important qui complique le projet d’induire une émotion suffisamment intense et durable, car la mobilisation de l’attention sur la tâche limite l’ampleur des effets de l’induction. L’élévation du niveau d’éveil cognitif produit par la tâche risque effectivement d’atténuer l’influence initialement engendrée par l’induction. Pour cette raison, nous avons choisi de réitérer à plusieurs reprises l’induction au cours de la procédure pour tenter d’entretenir l’émotion induite en début d’expérience. La technique de manipulation des besoins de réussite à la tâche, utilisée précédemment, n’a pas été adoptée, car une manipulation continue des enjeux relatifs à la tâche est difficile à mettre en oeuvre du fait de la crédibilité des informations divulguées sur les (fausses) mauvaises performances des sujets. En ce sens, nous avons préféré agir sur la durée avec un matériel anxiogène présenté sous des formes diverses à différents moments de l’expérience. Des stimulations anxiogènes visuelles et auditives ont été présentées, car l’utilisation de plusieurs modalités sensorielles nous semblaient être un bon moyen d’accroître la sensibilité des participants à l’activation émotionnelle.

Conjointement à la technique d’induction destinée à produire un état voisin de l’anxiété, la version abrégée du test de Cattell (1962) est utilisée pour évaluer l’anxiété trait des sujets. L’élaboration du test repose sur une analyse factorielle des dimensions pertinentes à l’anxiété trait, laquelle a révélé l’existence de sept facteurs explicatifs correspondant à la tension, au manque de contrôle, à la culpabilité, à la méfiance, à l’émotivité, à la timidité et à l’absence de conformité au groupe. L’utilisation du test de Cattell vise ici à contrôler l’effet de l’anxiété trait sur l’activité en MDT. Certains travaux ont déjà montré que l’anxiété trait pouvait, au même titre que l’anxiété état, affecter le stockage et la récupération en mémoire. Il est donc intéressant de vérifier l’effet conjoint de l’anxiété état et de l’anxiété trait sur l’activité cognitive. L’anxiété état et l’anxiété trait sont en effet distincts (Spielberger, 1966, 1972, 1983, cité dans Rachman, 1998). L’anxiété état est transitoire, elle apparaît face à un stimulus menaçant et se maintient sur une durée limitée après la disparition de celle-ci. L’anxiété trait réfère plutôt à une disposition individuelle à percevoir et à répondre de manière anxieuse aux évènements de la vie. Les personnes dont l’anxiété trait est élevée ont généralement un seuil de réactivité plus bas face aux stimulations anxiogènes.

Les données de l’expérience précédente relatives aux contraintes de distance alphabétique incitent à poursuivre les investigations sur les différentes stratégies permettant de résoudre la tâche de rappel. Aussi, un nouveau matériel est construit pour contrôler l’effet du degré de déclassement des consonnes et de leur distribution alphabétique dans les listes, sur les opérations contrôlées en MDT. La manipulation du degré de déclassement vise à vérifier si l’efficacité de la réorganisation alphabétique dépend de la disposition initiale des items par rapport à leur position finale, et si l’induction exerce une influence sur l’activité de planification en fonction de la quantité de manipulation requise par l’ampleur du déclassement. Le facteur distance alphabétique entre les consonnes est remplacé par un facteur d’étendue de la distribution alphabétique qui repose sur un mode de construction des listes sensiblement différent