5.2.2.2. Contrôle de la qualité des listes de consonnes

La qualité respective des 32 listes construites selon les facteurs déclassement et d’étendue de la distribution alphabétique a été examinée dans une expérience de contrôle réalisée sur 31 autres participants, tous étudiants en troisième année de psychologie à l’Université Lumière Lyon 2. Le but de cette expérience contrôle était de comparer les performances à l’activité de mise en ordre alphabétique des listes destinées à la dernière expérience, à l’aide d’une tâche de rappel impliquant une activité de traitement, mais pas une activité de maintien dynamique. La tâche consistait à classer alphabétiquement six consonnes alignées conjointement sur un écran d’ordinateur. Les participants devaient pointer, avec la souris, chacun des six items dans l’ordre alphabétique. La consigne précisait que tous les items devaient être pointés et qu’il était possible de corriger le pointage au cours du rappel au cas ou une erreur aurait été détectée. Une seule correction était admise. Avant d’effectuer le pointage, il était demandé aux sujets de lire à voix haute et de manière régulière la liste des six items affichés à l’écran. Les temps de latence à chaque pointage ont été enregistrés. Un questionnaire de fin d’expérience, présenté sous forme d’échelles en quatre points (Annexe 15), a permis d’estimer pour chacune des 32 listes, si leur mise en ordre alphabétique était plutôt rapide ou plutôt longue à réaliser mentalement.

L’examen des performances à la tâche révèle que les taux d’erreurs de pointage et de corrections d’erreurs24, présentés dans le tableau 5.1., sont relativement bas :

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Tab. 5.1.—Taux moyens d’erreurs de pointage et de corrections d’erreurs

Les valeurs du tableau attestent d’un niveau de performance relativement bon et suggèrent que l’activité de mise en ordre alphabétique est tout à fait réalisable.

L’analyse des latences repose sur la distinction entre les latences au pointage correct du premier item, et la durée de la réponse calculée en soustrayant la latence de la première consonne à celle de la sixième, sans tenir compte du temps de correction préalable éventuel. La latence au pointage traduit le temps nécessaire pour sélectionner la consonne pertinente alors que la durée de réponse, qui écarte les corrections d’erreurs (peu nombreuses), traduit la durée de la réorganisation alphabétique complète des items.

L’analyse de la variance des latences au pointage met en évidence les effets principaux de l’étendue (F(1,25)25 = 40, 85 ; p = .0001) et du déclassement (F(1,25) = 10,56 ; p = .0033). Le premier effet indique que la latence au pointage est plus longue en condition d’étendue restreinte (5444 ms) qu’en condition d’étendue large (4618 ms) et le second révèle que le pointage du premier item est plus rapide (4903 ms) pour les listes peu déclassées que pour les listes très déclassées (5159 ms). L’interaction entre les facteurs étendue et déclassement, illustrée en figure 5.1., est significative (F(1,25) = 24,72; p =.0001) et révèle que le pointage est particulièrement long pour les listes très déclassées avec une étendue alphabétique restreinte. Elle montre que les facteurs étendue et déclassement ne sont pas indépendants et que l’effet du croisement des modalités les plus difficiles maximise les temps de pointage du premier item.

L’analyse de la durée des réponses révèle l’existence des effets principaux de l’étendue (F(1,30) = 56,75 ; p = 0001) et du déclassement (F(1,30) = 12,04; p = .0016). Le premier effet indique, contrairement à celui observé sur les latences au pointage du premier item, que la durée de réorganisation alphabétique complète des listes est plus longue en condition d’étendue large (6272 ms) qu’en condition d’étendue restreinte (5033 ms). Le second révèle, pareillement à l’effet observé sur les latences au pointage, que la durée de réorganisation alphabétique est plus longue lorsque les listes sont très déclassées (5834 ms) que lorsqu’elles sont peu déclassées (5472 ms). L’interaction entre les deux facteurs, illustrée par la figure 5.2., est significative (F(1,30) = 5,51 ; p = .0256). Elle révèle que contrairement à la condition d’étendue large, où les durées de réponse sont équivalentes quel que soit le degré de déclassement, celles-ci varient en condition d’étendue restreinte dans le sens d’une réorganisation plus longue des listes très déclassées. De nouveau, cela montre que les facteurs sont interdépendants.

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Fig. 7.1.—Effet de l’interaction entre l’étendue et le déclassement sur les latences au pointage du premier item
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Fig. 7.2.—Effet de l’interaction entre l’étendue et le déclassement sur les durées de réponse

L’examen de l’évaluation subjective de la durée de mise en ordre alphabétique (questionnaire), met en évidence des patrons de résultats similaires à ceux observés pour la durée des réponses. Les participants jugent les listes ayant une étendue alphabétique large plus longues à réorganiser que celles ayant une étendue restreinte (F(1,30) = 37,24 ; p = .0001). Par ailleurs, les listes peu déclassées sont estimées plus rapides à réorganiser que les listes très déclassées (F(1,30) = 19,44 ; p = .0001). Une interaction significative entre ces deux facteurs (F(1,30) = 18,14 ; p = .0002) révèle le même profil de résultat que celui de la figure 5.2.

La comparaison des performances au rappel alphabétique selon les conditions d’étendue de la distribution alphabétique et de déclassement révèle trois phénomènes importants. Premièrement, les hypothèses relatives aux effets respectifs de l’étendue et du degré de déclassement sont validées. Ces effets peuvent aussi être interprétés selon l’hypothèse de balayage intégral de Sternberg (1966, cité dans Gaonac’h & Larigauderie, 2000), compatible avec notre première description, où la recherche de l’item pertinent s’effectuerait par le passage en revue de tous les items. La latence au pointage servirait au repérage des bornes de la distribution d’items alors que la durée de la réponse équivaudrait au balayage intégral de la liste. Selon que le niveau de discrimination des items requiert ou non des opérations contrôlées de comparaison, des mécanismes parallèles ou séquentiels interviendraient pour le pointage du premier item pertinent. Une étendue restreinte nécessiterait l’intervention de mécanismes séquentiels contrôlés alors qu’une étendue large ferait appel à des mécanismes parallèles plus automatiques. Ensuite, selon le degré d’élaboration des traitements impliqués dans le pointage du premier item, on assisterait à un effet de compensation entre la durée des latences et la durée des réponses. Un premier pointage séquentiel et contrôlé favoriserait une réponse plus rapide, alors qu’un premier pointage automatique et rapide nécessiterait une récupération plus longue des consonnes restantes. Deuxièmement, la distinction opérée entre la latence au pointage et la durée des réponses est utile parce qu’elle montre qu’en fonction des différentes étapes de la mise en ordre alphabétique, le facteur étendue n’a pas les mêmes effets. Ainsi, pour des items peu discriminés mais proches sur la dimension alphabétique (étendue restreinte), la sélection de la première consonne pertinente est plus longue, alors que la réorganisation ultérieure est plus rapide en comparaison avec la condition d’étendue large où le niveau de discrimination est grand et l’éloignement sur la dimension alphabétique, plus important. Le facteur étendue de la distribution alphabétique semble donc constituer une propriété importante de différenciation entre les items. Enfin, ce contrôle révèle que les facteurs étendue et déclassement ne sont pas indépendants.

Notes
24.

La correction d’erreurs traduit le fait de recommencer le pointage au cours du processus de réponse. Elle ne signifie pas que les erreurs sont effectivement corrigées. Ainsi, le taux d’erreurs de pointage correspond au taux réel d’erreurs observé.

25.

La valeur du F est égale à 1,25 et non 1,30 car 5 valeurs aberrantes de latence au pointage ont été retirées du tableau d’analyse.