5.5. Discussion

L’examen des performances à la tâche valide partiellement l’hypothèse d’une influence de la structure des listes sur la qualité du rappel alphabétique. En effet, les données montrent, comme attendu, qu’une étendue restreinte affecte l’exactitude du premier item restitué, confortant ainsi l’hypothèse d’un ’effet de distance’ propre à déterminer le caractère plus ou moins distinctif des items les uns par rapport aux autres. En revanche, l’effet du facteur déclassement n’est pas significatif, excepté sur le taux d’erreurs de rappel où l’on constate que les performances sont légèrement meilleures lorsque les listes sont très déclassées. Cette différence inattendue reste toutefois maigre (4%) et isolée. En ce qui concerne la durée des processus de réponse, les données montrent que la variabilité des T.I.C. n’est pas affectée par la structure des listes mais qu’en revanche, leur durée moyenne diminue en condition d’étendue restreinte, alors que les latences au rappel du premier item augmentent. Ce profil de résultat est similaire à celui de l’expérience contrôle où nous avons montré que l’étendue de la distribution alphabétique des items constituait un indice de discrimination utile pour leur récupération. Cet indice, selon qu’il implique des mécanismes séquentiels ou parallèles pour le repérage des premiers items, accélère ou, au contraire, ralentit la récupération des items subséquents. Enfin, les contraintes du facteur de l’étendue de la distribution alphabétique conforte l’idée que la réorganisation des items repose sur un processus plus ou moins contrôlé de comparaison avec l’alphabet.

Globalement, nous n’observons pas d’effet notable du facteur déclassement sur les performances au rappel alphabétique alors même que l’expérience contrôle révèle un effet sur la qualité du pointage alphabétique. Notre hypothèse est que, contrairement à la réorganisation mentale, l’activité de pointage est tributaire du balayage visuel et moteur imposé par l’ordre de classement des items présentés en ligne. Il est donc possible que l’effet du degré de déclassement observé dans l’expérience contrôle s’explique davantage par les mouvements oculaires et moteurs nécessaires au pointage des items.

Les résultats relatifs au contrôle de l’état émotionnel attestent d’un plus fort niveau d’anxiété chez les sujets induits comparativement aux sujets contrôle. Par ailleurs, lorsqu’il est demandé aux participants d’exprimer ce qu’ils ont ressenti face au matériel inducteur, les induits disent avoir été angoissé, mal à l’aise, stressé ou agacé alors que les contrôle répondent avoir éprouvé une certaine forme de détente.

L’analyse des effets de l’induction révèle que les induits restituent avec moins d’exactitude les premiers items au rappel alphabétique. Ce déficit de sélection en fonction d’un critère d’ordre donné est associé à la réduction du nombre d’items restitués en condition d’étendue restreinte. L’appauvrissement du rappel en situation de discrimination difficile valide donc en partie l’hypothèse selon laquelle l’effet des contraintes de structure de liste est plus marqué sur les performances des sujets induits. On peut interpréter cet effet de potentialisation de l’état émotionnel comme la conséquence d’un ’déficit’ de l’exécuteur central qui, selon Cowan (1988), assure la recherche exhaustive et consciente des informations en MLT utiles pour le traitement en MDT. Plus exactement, ces résultats sont cohérents avec l’idée que l’induction émotionnelle provoque une modification de la planification des opérations de traitement contrôlées qui se traduit par des stratégies de traitements spécifiques. Celles-ci, contrairement à l’expérience précédente, s’observent sur la qualité du rappel et non sur la durée des processus de réponse. Cette inconsistance apparente entre les résultats des deux dernières expériences peut toutefois trouver une explication dans la technique d’induction utilisée. L’état négatif induit dans l’expérience précédente reposait sur des enjeux de réussite et d’estime de soi favorisant l’activation des traits de personnalité anxieux. Partant de cette hypothèse, nous proposons d’établir un rapprochement entre les données de l’expérience précédente, révélant des stratégies de planification qui se traduisent chez les sujets induits par un rappel plus rapide mais moins précis, et les résultats observés chez les sujets à l’anxiété trait élevé (a+).

Le contrôle de l’anxiété trait offre en effet des éléments de compréhension intéressants sur les stratégies de traitement en fonction du score obtenu au test de Cattell. Nos données montrent que les sujets a+ ont bien plus de difficulté à ordonner correctement les items dans l’ordre alphabétique que les sujets a-. Ainsi, l’anxiété trait perturbe principalement les processus exécutifs impliqués dans la planification de l’ordre alphabétique. Nos résultats indiquent, par ailleurs, qu’elle écourte et aplanit la valeur de la durée des T.I.C. Mis en relation avec la détérioration de la planification de l’ordre alphabétique des items, ce phénomène d’harmonisation des T.I.C. vient soutenir l’hypothèse de Cowan (1988) selon laquelle le temps écoulé entre le rappel de chaque item peut être mis à profit pour la réactivation et la récupération successives des items. Ainsi, le profil des performances des sujets a+ peut s’expliquer par une réduction inappropriée des T.I.C. utiles à la récupération ordonnée et successive des items. À l’inverse, la plus grande variabilité des T.I.C, observée chez les sujets a-, semble traduire une meilleure stratégie de récupération, caractérisée par le regroupement des items. Ce phénomène de regroupement des items a par ailleurs été mis en évidence par Hitch, Burgess, Towse & Culpin, (1996), lesquels ont montré que cette stratégie garantissait une meilleure discrimination des items. Enfin, la diminution des latences au rappel du premier item pour les listes ayant une étendue large est nettement moins forte chez les sujets a+ que chez les a-. Cela suggère que les sujets a+ ne profitent pas entièrement de la présence d’indice permettant de mieux discriminer les items, et paraît cohérent avec la dégradation de leur planification de l’ordre alphabétique. Globalement, les performances des sujets a+, qui se traduisent par un rappel moins bon et une récupération des items plus rapide que chez les sujets a-, est cohérente avec les résultats observés dans l’expérience antérieure.

Enfin, les résultats concernant l’influence de l’imbrication des facteurs induction et anxiété trait ne permettent pas de valider l’hypothèse classique selon laquelle l’anxiété trait favoriserait une plus grande sensibilité à l’induction émotionnelle (Calvo & Miguel-Tobal, 1998). En effet, il semble que le niveau d’anxiété auto-évalué des sujets a+, soit déjà tellement important au début de l’expérience, qu’il ne varie que très peu après l’induction émotionnelle. En définitive, la combinaison de l’anxiété état et de l’anxiété trait ne constitue pas ici un facteur de consolidation des effets délétères de l’état émotionnel négatif sur l’activité cognitive à court terme.