6.1. Complexité de l’activité cognitive et effet de l’émotion induite

Dans une première série d’expériences, où les processus de maintien et de mise à jour en MDT ont été examinés à partir des performances à la tâche de Running Span, nous avons montré qu’une émotion induite par des stimuli anxiogènes, sans technique de suggestion, provoquait un déficit des capacités de stockage ainsi qu’une réduction globale des capacités de traitement dévolues à l’activité contrôlée de mise à jour. Cela s’est traduit par un ralentissement de la vitesse de récupération de l’information et par la dégradation de la qualité du rappel.

Ces données permettent de valider partiellement l’hypothèse d’une influence délétère d’un état émotionnel négatif induit sur les processus exécutifs de la MDT. En effet, cette influence n’a été observée que dans une seule condition d’empan, égale à quatre items, où quarante pour cent d’erreurs ont été enregistrés, alors même que cette condition était supposée exiger peu de ressources de traitement de la part du centre exécutif (Van der Linden et coll., 1994). Cela suggère que cette tâche réclame un haut niveau de contrôle pour la récupération sérielle stricte d’un nombre limité d’items. Un argument supplémentaire en faveur de cette idée est que l’augmentation raisonnable de la charge mnésique engendre un effet plancher supprimant toute possibilité de différencier les performances des deux groupes expérimentaux Ce niveau général de performances relativement faible, semble être l’indice d’une grande difficulté à réaliser les opérations de mises à jour, c’est-à-dire à maintenir actif en mémoire puis à inhiber volontairement les traces mnésiques. Selon Morris et Jones (1990), cette activité spécifique de renouvellement permanent du contenu de la boucle phonologique suppose une coordination de la part de l’exécuteur central. De même, les faibles capacités de coordination des activités de maintien et de mise à jour corroborent l’hypothèse selon laquelle les processus exécutifs sont requis pour le maintien de la répétition de l’information en MDT. Le caractère hautement intégré des composantes de maintien et de traitement engagés dans la tâche de Running Span semble constituer en définitive une vrai difficulté pour dissocier et spécifier les processus exécutifs affectés par le facteur induction. Par exemple, nos données ne permettent pas de savoir dans quelle mesure la dégradation du stock phonologique, entraînée par l’induction, participe au déficit des opérations contrôlées de mise à jour. Ce phénomène de déclin du stock phonologique chez les induits ne semble pas être un fait isolé spécifique à une condition d’empan, puisque pour une faible charge mnésique (expérience 2), on constate que l’émotion induite tend à dégrader la qualité du premier item rappelé.

Globalement, les résultats des deux premières expériences sont conformes à l’idée que l’émotion induite provoque un déficit des ressources de traitement de l’exécuteur central. Ils rendent compte partiellement du fait que l’accroissement du niveau de complexité de la tâche renforce les effets délétères de l’émotion. En effet, avec une charge faible de trois items, les sujets induits connaissent un déficit de la qualité du rappel dû vraisemblablement à l’affectation de l’état du stock, alors que pour une charge mnésique supérieure, le déficit concerne à la fois les capacités de stockage et de traitement contrôlé des mises à jour. Ce phénomène de potentialisation des effets de l’induction avec le niveau de complexité de l’activité cognitive disparaît toutefois avec une charge de cinq items, supposée être adaptée aux capacités de traitements des sujets (Morris et Jones, 1990 ; Van der Linden et coll., 1994). En réalité, cette condition de charge provoque une chute massive et globale des performances, expliquant l’absence d’effet de potentialisation pour cette condition d’empan. Cette disparité entre les niveaux de performance recueillis dans les études de Morris et Jones (1990), Van der Linden et coll. (1994) et ce travail de thèse suggère, puisque les procédures paraissent similaires, que la résolution de la tâche de Running Span procède de différentes stratégies de traitement. La variété des stratégies de résolution constitue une difficulté notable pour la mise en évidence complète des effets de l’émotion induite en laboratoire.