6.2. Les effets de l’émotion induite sont-ils médiatisés par la production de pensées intrusives ?

Bien qu’elle soit conforme à l’hypothèse d’un déficit des ressources du centre exécutif, la mesure des données subjectives, relatives à la production de pensées non pertinentes chez les induits, vient apparemment contredire l’hypothèse d’une réduction des ressources liée à la mobilisation de l’attention sur le traitement des pensées relatives à l’émotion. En effet, selon le caractère plus ou moins restrictif de la définition attribuée aux pensées non pertinentes, nos résultats sont contradictoires. Cela suscite une grande prudence vis-à-vis de ce que recouvre la notion de pensées non pertinentes et soulève la question de la valeur de cette mesure car, comme le souligne De Bonis (1996) : « En raison d’une assimilation hâtive du cognitif à la conscience et à la subjectivité, l’analyse de l’anxiété s’est longtemps limitée à l’étude des phénomènes conscients et verbalisés, ignorant ceux qui se produisent hors de la conscience ». Cette observation est cohérente avec notre hypothèse selon laquelle les induits ne produisent pas plus de pensées non pertinentes que les contrôle. Car leur attention est mobilisée sur une tâche coûteuse en ressources de traitement, plaçant ainsi les productions mentales concomitantes sur un second plan plus diffus, hors de la conscience. Cette interprétation est compatible avec l’hypothèse de Teasdale et coll. (1995), selon laquelle l’exécuteur central est impliqué à la fois dans la production de pensées non pertinentes et dans la gestion des activités contrôlées en MDT. Ainsi, l’exécution d’une tâche coûteuse en ressources entraverait la production de pensées non pertinentes (Erber & Tesser, 1992). En définitive, nos résultats gardent une relative cohérence avec le cadre général d’allocation de ressources, puisque nous supposons que l’absence de pensées non pertinentes est une manifestation du transfert des ressources de l’exécuteur central sur la tâche cognitive. Néanmoins, cela n’explique pas pourquoi les performances des induits sont moins bonnes que celles des contrôle. De même, nos résultats montrent clairement que les effets de l’émotion ne sont pas systématiquement médiatisés par la production consciente de pensées non pertinentes. Aussi, une hypothèse alternative est que les effets de l’émotion reposent sur des mécanismes plus spécifiques du système exécutif. Autrement dit, l’influence délétère de l’émotion correspondrait plus à une modulation directe des processus exécutifs impliqués dans le déroulement de l’activité cognitive, qu’à un phénomène indirect (situation de double tâche) de partage des ressources entre les pensées liées à l’émotion et la tâche.