6.5. Conclusion

Bien qu’ils reposent sur les données d’échantillons limités, les résultats de cette série d’études parviennent à montrer que l’expérience d’une émotion négative faite au cours de la réalisation d’une activité contrôlée à court terme occasionne une altération des mécanismes de stockage et de mise à jour sous-tendus par le système exécutif de la MDT. Un autre effet de l’état émotionnel négatif se traduit par la modification des stratégies d’exécution de la tâche, caractérisée par une accélération des processus de traitement au détriment du maintien des informations en MDT. Cette stratégie, inappropriée du point de vue des performances, semble caractéristique de la réponse émotionnelle anxieuse où la mobilisation rapide des capacités de traitement est privilégiée (pour faire face à la situation anxiogène) au détriment du stockage temporaire des résultats intermédiaires des traitements. En résumé, il semblerait que la réaction émotionnelle de type anxieuse corresponde à une réponse adaptative et stratégique de traitement, contrainte par les déficits des processus contrôlés en MDT. Cela conforte l’hypothèse de l’existence d’une influence modulatrice de l’émotion induite sur le fonctionnement cognitif.

Cette influence n’est cependant pas toujours simple à mettre clairement en évidence car le niveau de complexité de la tâche (le coût cognitif qu’elle implique) interagit avec les différences inter individuelles relatives à l’état émotionnel induit. Sur ce point, deux conceptions s’opposent. La première, centrée sur les caractéristiques de la tâche, postule que plus le niveau de complexité de la tâche est élevé, plus les chances d’observer une détérioration des performances des sujets induits sont grandes (Ellis et Ashbrook, 1998, 1989 ; Seibert et Ellis, 1991b ; Darke, 1988). La seconde prétend au contraire que des tâches ayant un niveau de complexité élevé orientent l’engagement de l’attention sur l’activité cognitive et neutralisent ainsi l’émergence des pensées liées à l’état émotionnel (Teasdale et coll., 1995), voir même annulent complètement l’émotion induite préalablement (Erber et Tesser, 1992). Cela soulève la question d’un phénomène d’auto régulation de l’état émotionnel qui se produirait au cours de l’activité cognitive. Le développement de recherches sur cette question serait une contribution importante à l’étude de l’effet d’une émotion induite en laboratoire. Par exemple, l’examen des multiples composantes de l’état émotionnelle réalisé par Mayer, Salovey, Gomberg-Kaufman et Blayney (1991) a permis de mettre en évidence différentes dimensions, capables de rendre compte de la réalité de l’expérience émotionnelle. Ces dimensions correspondent aux réactions physiologiques (éveil) et émotionnelles (valence) mais également à des aspects liés au contrôle de l’état émotionnel comme les pensées relatives au moyen de minimiser l’état ressentie et les réactions de déni. L’ensemble de ces dimensions, transposées à des échelles d’auto-évaluation, pourraient constituer un moyen intéressant d’évaluer l’ampleur du phénomène d’auto régulation au cours de l’activité cognitive.

Enfin, concernant plus particulièrement la nature des processus cognitifs impliqués dans les modifications causées par une émotion induite, il serait intéressant d’élargir les recherches vers les modèles d’activation. Cette métaphore énergétique qui permet de raisonner en termes d’état de mémoire plutôt qu’en termes de localisation écarte le problème du caractère hautement intégré des composantes de stockage et de traitement de la MDT et propose un cadre interprétatif intéressant pour les données se référant au modèle de Baddeley (1986).