INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le courant de pensée, en science économique, connu sous le nom de ’behavioral economics’ présente à nos jours une histoire longue de près d’un demi-siècle. Ce n’est toutefois qu’avec les années quatre-vingt que le courant ’comportementaliste’, dont Herbert Simon se révèle la figure de proue, s’est imposé distinctement à l’attention des économistes. Ainsi est-il significatif de constater la présence d’une entrée ’behavioral economics’ (Simon [1987]) dans le dictionnaire de référence de la science économique, le New palgrave dictionary (Eatwell et al. [1987]). Non moins significative nous apparaît la publication, dans la série ’Schools of thought in economics’1, de deux volumes intitulés ’Behavioral economics’ (Earl [1988]). L’esprit et le sérieux de ces références attestent, s’il en était besoin, de la reconnaissance externe dont jouit désormais le courant.

Pour partie, ce surcroît de visibilité se doit d’être attribué au dynamisme interne qui anime, sur la période, la mouvance comportementaliste. Sans doute le Nobel reçu par Simon, au titre du millésime 1978, a-t-il fait ici office de déclencheur. En particulier, 1982 voit la constitution de la Society for the Advancement of Behavioral Economics (SABE). A compter de cette date, une conférence internationale consacrée à l’économie comportementaliste s’est vue, année après année, régulièrement organisée. Désireux de promouvoir le programme de recherche comportementaliste, les membres de la tradition ont su trouver, au cours de ces mêmes vingt dernières années, une oreille favorable auprès des puissantes fondations américaines que sont la Russel Sage Foundation, d’une part, et la Peter Sloan Foundation, d’autre part.

Parallèlement à cette activité institutionnelle, les ouvrages, recueils et autres articles consacrés, peu ou prou, à la caractérisation de l’approche comportementaliste, ainsi qu’à sa diffusion, se sont multipliés. On notera, en particulier, l’existence d’un titre faisant l’objet d’une publication régulière : le Handbook of behavioral economics (Gilad & Kaish [1986], Frantz et al. [1991, 1996]). Par ailleurs, le Journal of Socio-economics (antérieurement Journal of Behavioral Economics), le Journal of Economic Behavior and Organization ou le Journal of Economic Psychology sont particulièrement réceptifs aux articles ’à forte teneur comportementaliste’.

Tous les paramètres nécessaires à la visibilité ainsi qu’à l’extension du courant comportementaliste semblent donc réunis. Pourtant, en dépit du bouillonnement constaté, au cours des deux dernières décennies, sous la bannière de la ’behavioral economics’, en dépit des signes évidents de reconnaissance externe, le courant demeure, quant à sa substance, quelque peu méconnu. Cet état de fait traduit sans doute, pour partie, le caractère encore émergent du courant comportementaliste. Une période de latence, il est vrai, s’avère souvent nécessaire avant qu’un certain nombre de contributions, fréquemment établies de manière relativement indépendante, se constituent, ou se voient constituées, en courant. Mais un diagnostic plus pointu doit conduire à soulever deux difficultés, de nature à restreindre la lisibilité du projet hétérodoxe impulsé, en particulier, par les contributions de Simon. C’est une opération des plus délicates, en effet, que de procéder à une caractérisation du courant comportementaliste. Avant donc d’exposer les motivations, l’objet et la structure du présent travail (§ 2.), on se propose de révéler, et discuter, ces deux difficultés qui attendent le lecteur désireux de prendre connaissance des travaux se réclamant de la ’behavioral economics’ (§ 1.).

Notes
1.

Orchestrée par Mark Blaug pour le compte de l’éditeur Edward Elgar.