2.2.2. Les aptitudes, motivationnelles et cognitives, du décideur

Il est possible de présenter la catégorie des aptitudes du décideur, en matières motivationnelles comme cognitives, au travers d’un élargissement du champ que recouvre habituellement l’opposition entre opérations de recueil et opérations de traitement de l’information.24 Dans cette optique, on propose de distinguer les capacités du décideur quant au recueil de l’information relative tant à sa situation-problème (ou son environnement-problème) qu’à ses préférences, des capacités de ce décideur à tirer profit de l’information ainsi recueillie.

Le théoricien standard semble prêter au décideur, selon le comportementaliste, des aptitudes motivationnelles considérables. L’hypothèse de rationalité présuppose ce dernier capable, d’abord, de recueillir une information sur ses propres préférences, qui soit à la fois complète et cohérente. Certes, il ne faut pas s’y tromper, la rationalité économique ne concerne que le seul choix des moyens. Mais bien que les goûts ne se discutent point, le modèle standard de la rationalité exige du décideur qu’il puisse toujours exprimer des préférences déterminées et transitives. Au demeurant, les présentations axiomatiques de l’hypothèse de rationalité, dans son expression déterministe comme probabiliste, tiennent en l’énoncé de diverses prémisses qui constituent autant d’exigences relatives aux aptitudes du décideur à exprimer des préférences, que celles-ci portent sur des conséquences spécifiées avec certitude ou des ’loteries’.

L’approche standard présuppose, ensuite, une fois réunie l’information quant à ses propres préférences, que le décideur soit toujours à même de tirer profit de cette information sous-jacente en lui conférant une expression comportementale effective. Préférences et comportements seraient ainsi une seule et même réalité.25 Cette perspective qui, avec la théorie des ’préférences révélées’, prend le caractère d’une nécessité, semble donc exclure la possibilité de carences ou de faiblesses inhérentes à la motivation ou à la volonté individuelle. Pour le comportementaliste, pourtant, les aptitudes motivationnelles du décideur sont tout aussi limitées que le sont ses aptitudes cognitives. Outre que le caractère intransitif des préférences ait pu être établi depuis longtemps déjà, le courant comportementaliste fait valoir une masse considérable de matériaux empiriques qui laissent penser que les préférences ne seraient pas toujours clairement déterminées. Elles se révèleraient, ainsi, assez largement contingentes. Par ailleurs, le décideur semble ne pas être forcément doté de l’énergie motivationnelle susceptible d’assurer le parfait alignement entre préférences et comportements que présuppose l’hypothèse de rationalité (Chapitre 3).

Pour le comportementaliste, il est commun d’affirmer que le théoricien standard attribuerait au décideur des aptitudes cognitives, sinon illimitées, à tout le moins impressionnantes. Ainsi est-il censé disposer d’une connaissance exhaustive des options qui lui sont ouvertes, en même temps que des conséquences qui s’y rattachent. A défaut d’anticiper, avec certitude, les conséquences possibles de ses choix, le décideur standard est réputé en mesure de se forger, au vu des éléments d’information dont il dispose, des croyances probabilistes pertinentes. De même est-il toujours capable d’intégrer, dans ses calculs optimisateurs, l’ensemble des paramètres d’intérêt au regard de sa situation-problème, aussi nombreux fussent-ils. Le théoricien standard présuppose donc le décideur doué d’aptitudes à recueillir l’information relative à son environnement, aussi que d’aptitudes à tirer profit de cette information, qui seraient essentiellement illimitées. Contre cette prémisse, le comportementaliste fait valoir tout un faisceau de constats empiriques qui semblent démontrer que le décideur doit fonder communément ses réponses sur des ’constructions cognitives’ (des connaissances, des représentations, des croyances) imparfaites, car parcellaires, biaisées et/ou erronées (Chapitre 4).

Notes
24.

Une interprétation commune, à l’attention de l’économiste, de cette distinction classique de la psychologie conduit à faire remarquer qu’il faut, en vue de procéder à une décision ou de résoudre un problème, se procurer un certain nombre d’informations mais aussi procéder à diverses opérations de délibération ou de calcul.

25.

Il va sans dire que l’on est ici dans le domaine des ’préférences nettes des coûts encourus’.