2.2.3. La flexibilité, motivationnelle et cognitive, de l’acteur

De même que, pour le comportementaliste, le théoricien standard prêterait, au titre de l’hypothèse de rationalité, des aptitudes presque illimitées au décideur, il le supposerait en mesure de faire preuve d’une flexibilité quasi-maximale. Cette flexibilité idéale et, en fait, la terminologie ici retenue, ne prennent pleinement sens qu’à préciser la teneur des rigidités qu’entend introduire, par contraste, l’auteur comportementaliste dans ses propres représentations du comportement.

Sur le plan des finalités du comportement, la flexibilité motivationnelle maximale conduit à poser la quête de l’optimum comme ’méta-objectif’ incontournable. Cette prémisse se voit opposer, par les auteurs comportementalistes, la ’thèse du satisficing’, en vertu de laquelle il ressort que le décideur, en de nombreuses circonstances, s’assignerait pour méta-objectif de trouver, non pas une solution ’optimale’, mais une solution ’satisfaisante’. L’élément de rigidité surgit donc, ici, de l’irruption d’un ’seuil d’aspiration ou de satisfaction’ qui marque les limites de l’’adaptation motivationnelle’ de l’acteur à sa situation-problème (Chapitre 5).

Sur le plan des moyens de l’action, la flexibilité cognitive maximale conduit à conférer à la décision le statut de ’méta-procédure’, pour ainsi dire, exclusive. Tout comportement d’intérêt pour les sciences sociales se verrait de la sorte, pour le théoricien standard, précédé d’un calcul généralement conscient. Face à cette prémisse, les comportementalistes font valoir le rôle, en particulier, de l’habitude et ses mécanismes, en tant que méta-procédure alternative susceptible de garantir l’adéquation des moyens aux fins. Parce qu’elle suspend le processus d’appréciation critique inhérent à la décision, l’habitude introduit la rigidité au sein des procédures qui assurent l’’adaptation cognitive’ de l’acteur à son environnement-problème (Chapitre 6).

Certes, les prémisses par lesquelles se voit spécifiée l’étendue de la flexibilité des vecteurs motivationnels et cognitifs du comportement apparaissent, en fait, sous un certain éclairage, strictement subordonnées aux prémisses qui caractérisent, en ces mêmes domaines, les aptitudes individuelles. Ainsi, c’est parce que le théoricien standard prête au décideur des aptitudes essentiellement illimitées qu’il conclut, peu ou prou, à la flexibilité maximale des réponses individuelles. A contrario, c’est parce que le comportementaliste fait allégeance aux défaillances qui marquent les aptitudes motivationnelles et cognitives de l’acteur, qu’il reconnaît la prégnance des mécanismes tant du satisficing que de l’habitude.

Il n’en reste pas moins pertinent d’estimer que l’hypothèse de rationalité tient en l’affirmation selon laquelle tout se passe comme si les individus étaient non seulement dotés d’aptitudes motivationnelles et cognitives illimitées, mais témoigneraient, aussi, d’une flexibilité motivationnelle et cognitive maximale. En effet, chacune de ces quatre prémisses recouvre, au-delà des liens de subordination bien réels, un espace de problématiques et de polémiques qui lui est largement spécifique. Enfin, s’il eut été sans doute possible d’opter pour un agencement différent, deux à deux, de nos quatre chapitres, la fluidité de notre présentation montrera, nous le croyons, le bien fondé des arbitrages retenus.