1.2.1. L’héritage ricardien

Dans l’optique d’une présentation rétrospective de la genèse de la méthodologie économique standard, l’oeuvre de Ricardo s’impose comme une référence incontournable. Quelles qu’aient pu être en effet les propres conceptions méthodologiques de l’auteur des Principes (Ricardo [1817])30, on ne manquera pas de reconnaître, avec Jessua [1991, p. 209], que ’l’importance de l’oeuvre de Ricardo tient sans doute au fait qu’il a innové en créant un style d’analyse abstrait, d’enchaînement de concepts, de construction de modèles théoriques et ce style deviendra une des formes caractéristiques de l’analyse économique moderne’. Cette innovation dont est porteuse l’oeuvre maîtresse de Ricardo, cet ’héritage ricardien’, suivant la formule de Zouboulakis [1993], est l’expression même de l’introduction du raisonnement hypothético-déductif au sein de la discipline économique.

C’est essentiellement en tant qu’il oriente fermement la discipline sur la voie de la thèse hypothético-déductiviste que l’apport de Ricardo se doit d’être placé aux origines de la méthodologie économique standard. Plus secondairement, on ne pourra s’empêcher de remarquer, à tout le moins, le peu d’empressement avec lequel l’auteur s’attache à fonder empiriquement les prémisses retenues aux fins de ses chevauchées déductives, convaincu peut être que l’exactitude des prédictions énoncées s’imposerait comme le gage le plus net de la scientificité de son propos.

Bien que nous ne puissions aisément étayer cette intuition (faute de matériaux), gageons néanmoins que le déploiement, dans l’oeuvre maîtresse de Ricardo, d’un discours ostensiblement hypothético-déductif, par où l’ossature même de la méthodologie économique standard se voit assise, constitue effectivement une première expression du scientisme disciplinaire dont on entend, en passant, montrer le rôle. L’idée que l’on se fait de ’la Science’, en ce début de XIXème siècle, est déjà marquée par l’empreinte des sciences de la nature, et plus spécifiquement de la physique. Ainsi que le souligne Blaug [1980], Smith lui-même présentait, dès 175031, la méthode de Newton comme une méthode dans laquelle sont posés ’au départ, certains principes, premiers ou démontrés à partir desquels on peut rendre compte des différents phénomènes, l’ensemble étant lié par la même chaîne [logique]’ (Smith, in Blaug [1980, p. 57]).

Si l’on ne peut nier que Smith [1776] se soit efforcé de transposer la méthode newtonienne à l’objet de l’économie politique naissante en consacrant, notamment, dans sa Richesse des nations, le rôle quasi-exclusif de l’intérêt individuel et, au-delà, de l’homo oeconomicus, Ricardo mieux que lui, pourtant, a su faire usage de cette méthode hypothético-déductive qui fit le succès de la mécanique classique.32 Aussi, la discipline économique, en général, et la perspective standard, en particulier, héritent-elles bien, en la matière, davantage des travaux de Ricardo que de ceux de Smith (Meidinger [1994], Zouboulakis [1993]).

Notes
30.

Pour autant que ce dernier ait développé une vision méthodologique explicite et cohérente.

31.

Cette présentation fut effectuée dans le cadre d’un essai de philosophie des sciences demeuré méconnu : The principles that lead and direct philosophical enquiries : illustrated by the history of astronomy.

32.

Le vif intérêt que porte, par ailleurs, Ricardo aux mathématiques n’est probablement pas étranger au caractère si prégnant du cadre hypothético-déductif dans son oeuvre maîtresse.