1.2.2. Le contexte méthodologique

La contribution analytique majeure de Ricardo (et, accessoirement, celle de Smith) trouve un éclairage méthodologique explicite dans les écrits de J. S. Mill (Mill [1836, 1844]). On sait que pour l’auteur, la réflexion méthodologique tend invariablement à expliciter et à entériner certaines pratiques scientifiques passées.33 Or, Mill a vu dans le modus operandi ricardien les canons d’une méthodologie économique pertinente (Meidinger [1994], Zouboulakis [1993]). L’oeuvre méthodologique de Mill apporte donc non seulement un ’éclairage systématique’, mais également une certaine caution théorique à la démarche ricardienne.

Certes, l’apport de Ricardo a plus largement suscité l’attention des différents auteurs qui relèvent de ce que Zouboulakis [1993] nomme ’la tradition épistémologique ricardienne’.34 Cependant, c’est bien la contribution méthodologique de Mill qui constitue la pièce maîtresse de la méthodologie économique du XIXème siècle.35 Au cours des débats qui jalonnèrent le siècle, cette contribution demeura une référence omniprésente. C’est pourquoi nous nous contenterons d’éclairer les questions qui nous intéressent ici à la lumière des seuls apports méthodologiques de Mill.

Sur un plan méthodologique, le XIXème siècle est tout particulièrement et plus directement marqué par l’opposition entre ’déductivistes’ et ’inductivistes’. Cette opposition culmine, bien sûr, à l’occasion de la fameuse Methodenstreit. Mais le débat n’a jamais été circonscrit aux seuls auteurs de langue allemande. En Grande-Bretagne, le conflit entre tenants de la méthode déductive, d’une part, et partisans de la méthode inductive, d’autre part, prend déjà corps dans les échanges épistolaires opiniâtre entre Ricardo et Malthus. Il se prolonge dans les controverses mettant aux prises les récipiendaires de l’héritage ricardien (les membres de la tradition épistémologique ricardienne), d’une part, et les adeptes de l’’école historique anglaise’ (Jones, Leslie).36 Signe des temps, la contribution méthodologique de Mill est avant tout une tentative de justification du bien fondé de l’emploi de la démarche déductive. En conséquence, cette contribution apparaît tout particulièrement comme une défense de la thèse hypothético-déductiviste et, partant, comme une tentative d’enraciner le premier pilier de la méthodologie économique standard.

Notes
33.

Sur ce point, voir le livre V de ses remarquables Essays on some unsettled questions of political economy (Mill [1836]).

34.

Relèvent de cette tradition (en plus de J. S Mill) : Senior, Whately, Cairnes, Bagehot, Sidgwick, et N. Keynes (sur cette tradition, voir aussi Blaug [1980, Ch 3]).

35.

Elle apparaît d’ailleurs, à ce titre, et de façon plus générale, comme un point de référence incontournable de la méthodologie économique ’tout court’ (Mouchot [1996]).

36.

Sur ces controverses, nous renvoyons à Blaug [1980], ou à Zouboulakis [1993].