Si les innovations ricardiennes donnèrent lieu assez rapidement, avec les écrits de J. S. Mill, à un éclairage méthodologique faisant autorité, les bouleversements introduits par la révolution marginaliste ne débouchèrent sur une expression méthodologique canonique que de façon bien plus tardive. Ce n’est en effet qu’avec l’essai de Friedman [1953], qu’un relatif consensus méthodologique au sein de la discipline prit forme. La contribution friedmanienne nous apparaît donc être à l’histoire de la méthodologie économique du XXème siècle, ce que la contribution méthodologique de Mill fut à l’histoire de la méthodologie économique du XIXème siècle.
Une des conséquences d’importance de la révolution marginaliste, sur un plan méthodologique, est d’avoir progressivement déplacé le centre de gravité du débat méthodologique. Avec le tournant du siècle, l’antique débat entre déductivistes et inductivistes, quoique toujours vivace, le cède en importance au débat que suscite la marginalisation croissante du statut empirique des prémisses du raisonnement. Progressivement, donc, ce qui viendra à s’imposer comme la controverse relative au ’réalisme des prémisses’ s’affirme comme le débat méthodologique par excellence (Mingat et al. [1985, p. 315]). Avec l’attachement quasi-exclusif à la démarche hypothético-déductive et le recours aux mathématiques, porté par des aspirations scientistes, la perspective néo-classique s’est édifiée, en effet, sur des prémisses du raisonnement qui ne manquèrent pas de soulever des oppositions.
Ce sont les auteurs institutionnalistes qui, outre-atlantique, ont critiqué avec le plus de véhémence les ’arbitrages’ méthodologique sous-jacents à la démarche néo-classique (Lewin [1996]). Par delà le débat relatif à l’intérêt intrinsèque de la démarche hypothético-déductive, les institutionnalistes nient la portée empirique de la théorie néo-classique au seul vu des prémisses du raisonnement retenues. Les attaques institutionnalistes se sont en fait focalisées sur les représentations néo-classiques de l’homo oeconomicus, ainsi que l’illustrent les remarques bien connues de Veblen [1898]. En dépit des succès que rencontra, par la suite, la théorie néo-classique (en particulier à l’occasion de la ’révolution ordinaliste’ de Hicks-Allen), les critiques ne cessèrent guère. A la fin des années trente point la ’controverse marginaliste’. Les travaux de Hall & Hitch [1939] annoncent le débat, resté célèbre, entre Lester [1946, 1947] et Marchlup [1946, 1947].47
Dans ces conditions, l’essai de Friedman se veut avant tout comme l’aboutissement d’une longue polémique. L’objectif de la contribution friedmanienne est de parvenir à un argument défensif, sans pour autant vider la discipline de son contenu empirique. Ainsi, face aux polémiques, l’article de Friedman vient remplir simultanément deux fonctions : 1) préciser la nature de l’ancrage empirique (ou de la relation entre théorie et faits) que propose l’approche hypothético-déductive de l’économique, 2) justifier le traitement réservé, dans cette perspective, aux prémisses du raisonnement et, notamment, aux prémisses psychologiques (Mayer [1993]). Ce faisant, la contribution friedmanienne s’impose, avant tout, comme l’expression canonique de la thèse de l’asymétrie fondamentale. Plus secondairement, elle est l’occasion d’un réexamen de la thèse hypothético-déductiviste.
Débat auquel Oliver [1947], Stigler [1947] et Gordon [1948] apportèrent également leur contribution.