2.1.2. Portée et limites de notre terminologie

Certes, il n’est pas dans notre intention de nier les limites de notre classification des modèles qui relèvent de l’approche économique standard, pas plus que de prétendre à une quelconque exclusivité.69 La spécificité de notre articulation théorie néo-classique/approche économique standard, en particulier, est cependant loin d’être dénuée de fondements. En effet, elle a le mérite de respecter une double réalité, analytique et historique. Sur le plan analytique, la pertinence de l’articulation que l’on suggère ici repose notamment sur les deux constats suivants -lesquelles renvoient respectivement à la nature générale des conclusions du raisonnement, d’une part, et des hypothèses et prémisses du raisonnement, d’autre part- : 1) le programme de recherche néo-classique constitue, à titre principal, une ‘perspective à portée macro-analytique relative à l’interaction d’un grand nombre d’agents sur des marchés’ ; en cela il se distingue des autres modèles économiques standards évoqués, lesquelles offrent, quant à eux, pour l’essentiel, un éclairage micro-analytique relatif aux comportements d’un agent ou de quelques agents ; il en résulte que l’on peut utilement considérer que la théorie néo-classique établit, essentiellement, dans le cadre de l’approche économique standard, une approche standard du marché, alors que la micro-économie post-walrassienne vient donner forme, quant à elle, à l’approche standard du comportement (en environnement paramétrique ou stratégique) ; 2) le programme de recherche néo-classique repose très largement sur l’hypothèse de rationalité en tant qu’elle se voit appliquée à des contextes décisionnels marqués par la certitude 70 ; les modèles standards qui relèvent de la micro-économie post-walrassienne tendent, quant à eux, à mobiliser l’hypothèse de rationalité dans le cadre de contextes caractérisés par l’incertitude (paramétrique ou stratégique) ; en effet, si l’ambition originelle des théoriciens néo-classiques (à savoir, leur désir d’ériger une approche standard du marché) les a conduit à formuler les premières axiomatisations de l’hypothèse de rationalité (et, ce faisant, à préciser l’approche standard du comportement), le programme de recherche néo-classique n’a cependant accouché ’que’ d’une représentation formelle de la rationalité (ou des conditions de la rationalité) en état de certitude ; ce n’est qu’à l’occasion des travaux de Von Neumann & Morgenstern [1944] que cette ambition formalisatrice se voit prolongée en vue d’établir une théorie de la rationalité en état de risque71 puis, avec Savage [1954], d’incertitude (cf. encadré ci-après) ; ‘la croyance en l’optimalité du comportement, qui fonde l’hypothèse de rationalité, peut ainsi se donner à lire dans une variante déterministe ou probabiliste’.72

Notes
69.

Remarquons, aussi, que notre ’analyse économique standard’ correspond approximativement à ce que Guerrien [1989, 1996] entend par ’théorie néo-classique’, ou à ce que Favereau [1989] place sous l’ensemble TS + TSE.

70.

Avec l’hypothèse de l’existence d’un ’système complet de marchés’, l’incertitude est, en effet, évacuée du modèle d’équilibre général -lequel constitue indiscutablement le coeur du programme de recherche néo-classique. A peine l’introduction, chez Debreu, de ’marchés à terme contingents’, parvient-elle à capturer une forme bien maigre d’incertitude -incertitude qui, au demeurant, ne modifie en rien la nature ’déterministe’ de la rationalité prêtée aux agents.

71.

L’axiomatique de l’utilité espérée n’est pas, en fait, le fruit des seuls travaux menés par les deux pères-fondateurs de la théorie des jeux ; de nombreux auteurs (cf. notamment Marschak [1950], Friedman & Savage [1952], Herstein & Milnor [1953]) proposèrent ainsi leur propre axiomatique (en fait, en réaction même aux propositions de Von Neumann et Morgenstern, jugées déficientes).

72.

Dans la mesure où les modèles de certitude peuvent être tenus pour des cas limites des modèles de risque ou d’incertitude évoqués, on peut prétendre, légitimement, que ces derniers constituent -de par la formulation très générale qu’ils donnent du principe de rationalité- le coeur de l’approche standard du comportement.