Un point important de notre propos tient dans cette idée que la catégorie des hypothèses se doit d’être distinguée de celle des prémisses. Ainsi a-t-on pu indiqué, en première analyse, que la classe des prémisses d’une hypothèse fédère l’ensemble des énoncés, explicites ou implicites, qui permettent de fonder ou, simplement, de formuler cette hypothèse. De la sorte, l’hypothèse ne serait guère plus qu’un corpus de prémisses. Par voie de conséquences, les prémisses d’une théorie se composeraient des diverses prémisses associées à chacune des hypothèses dont elle se constitue.75 On peut à ce stade, nous semble-t-il, donner une articulation, peut-être plus achevée, au couple hypothèse/prémisses.
On s’en souvient, la distinction entre hypothèse et prémisses, qui n’est pas toujours restituée, ni peut être restituable expressément, se trouve au coeur de l’essai de Friedman. C’est précisément dans le contexte de cette contribution que pareille distinction semble à même de recevoir un contenu proprement significatif. La clé de notre interprétation réside en un éclairage, non tout à fait conventionnel, de la méthodologie du ’comme si’. A la suite de Mingat et al. [1985, Ch 6], il nous semble ainsi que l’hypothèse, au sens de Friedman [1953] -lequel sens nous retenons, en fait, dans le cadre de ce travail-, n’est qu’un énoncé ’comme si’. Dans cette optique, les prémisses renvoient à l’ensemble des énoncés -envisagés dans leur expression impérative, cependant- que l’on place (explicitement), ou semble devoir placer (implicitement), derrière la clause ’comme si’. L’hypothèse de rationalité et ses prémisses tiendraient, en particulier, dans l’énoncé selon lequel ’tout se passe comme si... ‘les individus rempliss(ai)ent effectivement l’ensemble des conditions motivationnelles et cognitives apparemment nécessaires à l’optimisation de leur fonction-objectif’.’ L’hypothèse d’asocialité et ses prémisses semblent appeler, pour leur part, la formulation suivante : ’tout se passe comme si... les individus s’avèr(ai)ent libres de toute influence, contrainte ou détermination émanant de leur environnement social’.
Cette lecture, en forme de précision, ne va pas sans appeler quelques remarques. Il est d’abord permis de signaler que si l’articulation entre hypothèse et prémisses (’hypothesis’ et ’assumptions’) retenue par Friedman est conforme à l’interprétation qu’on en donne ici, c’est alors un contre-sens ou, à tout le moins, une maladresse, que d’affirmer -comme cela est souvent fait- que Friedman plaide, en quelque sens que ce soit, pour l’’irréalisme des hypothèses’. Ensuite, pour reformuler le point, la thèse de l’asymétrie fondamentale conduit à avancer que la validité d’une hypothèse ou d’une théorie se doit d’être appréciée en examinant si les choses se passent effectivement ’comme si’ et non à l’aune d’un examen des énoncés-prémisses qui suivent cette clause. Il faut remarquer, enfin et surtout, que la présente interprétation du couple hypothèse/prémisses n’invalide en rien la lecture ternaire que l’on a donnée, plus haut, du statut gnoséologique des prémisses du raisonnement. Prise en elle-même, la clause ’comme si’ ne permet pas, en effet, de préjuger du statut que le théoricien accorde aux énoncés-prémisses. Celui-ci n’est, en particulier, pas tenu d’adhérer à un instrumentalisme radical. Affirmer que les choses se passent ’comme si’ ne conduit pas nécessairement, ni en fait généralement, le théoricien à penser qu’elles ne puissent aussi se passer, pour ainsi dire, effectivement ou approximativement ’comme çà’...
Cf. notre introduction générale, ainsi que les notes 3 (p. 31) et 24 (p. 43), supra.