2.3.3. Quelques nuances

Certes, pour la majorité des théoriciens néo-classiques, la portée descriptive de leurs représentations des comportements du consommateur-ménage ou du producteur-firme ne saurait être purement et simplement niée. En tant qu’émanations plus ou moins directes de l’appréhension standard du comportement individuel, ces représentations sont, en effet, très largement conçues comme des ’approximations de première main’. A l’inverse, une partie des conclusions établies dans le cadre des modèles relevant de la micro-économie post-walrassienne peut être lourde d’implications pour le système économique pris dans son ensemble (cf., sur ce point, Favereau [1989]).

Il reste que, dans le cadre de la théorie néo-classique, les énoncés relatifs aux comportements que retiennent les agents économiques envisagés ont, avant tout, la forme de conclusions intermédiaires de l’analyse déductive. Ce sont les conclusions à l’échelle macro-analytique qui prévalent très largement au regard du théoricien néo-classique. Or c’est bien une forme de position inversée qui semble caractériser les prétentions descriptives de la micro-économie post-walrassienne. Les comportements, en particulier, individuels, apparaissent comme des conclusions à part entière de l’analyse. Plus encore, ils en sont les conclusions privilégiées. Les implications globales de ces analyses se dégagent souvent (pour peu qu’elles soient même envisagée) comme des ’constats résiduels’.83 A tout le moins la validité de ces implications macro-analytiques doit-elle reposer, intégralement, sur la portée des conclusions établies quant aux comportements que sont censées adopter les unités de décision individuelles.

Bien que notre propos ne puisse être parfaitement tranché, il entend distinguer deux classes principales d’implications auxquelles sont susceptibles de donner lieu les développements standards. La distinction entre le micro- et le macro-analytique revêt une signification toute particulière, dès lors qu’on l’apprécie à l’aune de l’éclairage méthodologique livré plus haut. C’est que la méthodologie économique standard, convenablement replacée dans le cadre d’une invite à tester les hypothèses ou les théories en tant qu’énoncés ’comme si’, se donne à lire précisément sous cette forme duale. En effet, il appartient, en principe, au théoricien standard de montrer que tout se passe ’comme si’, soit à l’échelle micro- soit à l’échelle macro-analytique -soit, encore, aux deux échelles simultanément. Telles sont, nous semble-t-il, les deux interprétations que l’on peut donner du propos, à cet égard, d’un Friedman [1953].

Aussi, si l’on accepte les canons de la méthodologie économique traditionnelle, la portée empirique de la théorie néo-classique ne saurait être évaluée (à titre principal) à la lumière d’une analyse des comportements retenus par tel ou tel consommateur (ou ménage) ou par tel ou tel producteur (ou firme), mais bien sur la base des conclusions que la théorie infère quant au fonctionnement global de l’économie.84 A l’inverse, les canons de la méthodologie économique standard autorisent que les conclusions de la micro-économie post-walrassienne se voient testées, à titre principal, à l’échelle des comportements -individuels, en particulier- et, accessoirement seulement, à l’échelle agrégée. Le fond de notre argument ne fait, en réalité, que respecter à la lettre le précepte de Machlup suivant lequel il apparaît que l’’on ne doit pas confondre les explanans et les explandum’ (Machlup [1967, p. 9]).

Notes
83.

Il s’agira fréquemment de faire valoir le manque à gagner en termes d’efficience économique que semblent devoir engendrer, à l’échelle macro-analytique, les comportements que ’constate’ la théorie, à l’échelle micro-analytique.

84.

Une conclusion toute en nuance que Machlup [1956, p. 489] semble également suggérer lorsqu’il écrit : ’In general, for purposes of prediction, we should not apply the Assumption [i.e : le principe de rationalité] to particular households or to particular firms, but only to large numbers of households or firms, or rather to cases where the deduced events, such as changes in prices, outputs, consumption, exports, imports, etc., are regarded as the outcome of actions and interactions of large numbers of firms and households’.