Il y a indiscutablement, au centre des préoccupations méthodologiques du comportementaliste, la question de la pertinence empirique, ou du réalisme, des prémisses du raisonnement. Si la position standard quant au statut gnoséologique qu’il convient d’accorder à ces énoncés fondamentaux apparaît ambiguë, tel n’est pas le cas de la perspective comportementaliste. Il est intéressant d’exprimer celle-ci en deux temps, deux points qui filtrent nettement du propos de Gilad et Kaish rapporté à l’instant. Bien que le procédé soit, à certains égards, artificiel, il permet, dans le même élan, de donner à la perspective comportementaliste la forme d’une critique méthodologique externe à portée générale, car susceptible de s’accommoder des ambiguïtés de la position standard.
On peut faire valoir, d’abord, que les prémisses doivent constituer, pour le comportementaliste, de bonnes approximations. Earl [1986, p. 8] remarque ainsi : ’‘Putting things crudely, we would say that behavioral theorists try to make their assumptions as realistic as possible’’. Cet engagement amène le comportementaliste à se démarquer, sur le principe, de ces économistes standards dont les positions, quant au statut gnoséologique des prémisses du raisonnement, sembleraient se déployer sur l’axe approximations-instruments.87 A bien des égards, la perspective comportementaliste paraît s’inscrire ici dans la continuité des ’thèses réalistes de Mill’. En effet, le comportementaliste estime, d’une part, que seules sont recevables les prémisses qui, indépendamment de toute référence aux implications de la théorie, constituent de bonnes approximations. Il conçoit, d’autre part, l’amélioration constante du ’degré de réalisme’ des prémisses comme un objectif dont l’économiste ne doit se départir. Plus frappante encore peut sembler, ici, la référence aux thèses réalistes de Mill si l’on rappelle que l’auteur a vu dans la ’psychologie’ et l’’éthologie’ les bases sur lesquelles il conviendrait à l’économie politique d’édifier, à terme, ses prémisses psychologiques !
On peut remarquer, ensuite et de façon connexe, qu’il ne saurait suffire, pour le comportementaliste, de clamer le pertinence empirique des prémisses retenues. L’effort théorique doit ainsi, dans toute la mesure du possible, s’accompagner d’une justification visant à produire les matériaux susceptibles de fonder directement toute prétention au réalisme. Le comportementaliste en vient, de la sorte, à se démarquer, en pratique, des économistes standards dont les convictions semblent relever de l’axe approximations-vérités. A l’évidence, cet engagement qui consiste à montrer, plutôt qu’à simplement affirmer ou postuler le réalisme, voire la vérité, des prémisses avancées tranche pour le comportementaliste avec l’ethos caractéristique de tant d’économistes en général, et d’économistes standards en particulier. Depuis les origines mêmes de la discipline, remarque Simon [1997, pp. 22-3], l’économiste s’est en effet trop souvent contenté d’adosser ses prémisses aux fruits spontanés de l’introspection ou de l’observation, reflets, au mieux, des expériences d’un sujet attentif, mais néanmoins peu méthodique. Sans doute croyait-il, et croit-il encore, la démarche susceptible de garantir, ne fut-ce qu’approximativement, la pertinence empirique des prémisses psychologiques, voire situationnelles, retenues. Peut-être en est-il venu à juger acceptable une certaine dose d’instrumentalisme. Quoi qu’il en soit précisément, il appert que la discipline n’a pas accouché de techniques d’investigation systématiques par où il serait possible de s’assurer directement de la qualité des prémisses retenues. C’est là un état de fait auquel le comportementaliste entend remédier.
Simon [1963, p. 231] a pu écrire : ’Unreality of premises is not a virtue in scientific theory ; it is a necessary evil -a concession to the finite computing capacity of the scientist (...)’.