2.2.1. La ’behavioral economics’ comme rencontre entre le théoricien néo-classique et le psychologue béhavioriste

L’essor de ce comportementalisme beckerien apparaît relativement récent. Bien qu’en germe dans des travaux antérieurs, ce n’est en effet que dans le courant des années soixante-dix que cette perspective prit une dimension significative. Foncièrement interdisciplinaire, le comportementalisme beckerien doit beaucoup aux efforts communs de Raymond Batalio (économiste), Leonard Green (psychologue), John Kagel (économiste), et Howard Rachlin (psychologue). Dans l’esprit de ses promoteurs, cette entreprise apparaît, à l’origine, comme le fruit de la rencontre entre l’approche économique du comportement (dans son expression néo-classique), d’une part, et le cadre empirique (expérimental et appliqué) offert par les travaux des psychologues béhavioristes, d’autre part (Kagel & Winkler [1972]). Par extension, certains travaux menés en éthologie (ou plus généralement en ’biologie comportementale’) ont été rapidement associés à la démarche impulsée par Kagel, Rachlin et leurs collègues.

Le cadre empirique du béhavioriste est tout entier structuré par les théories du conditionnement. Le comportementalisme beckerien prend appui, quant il en est de son inspiration psychologique, sur cette forme de conditionnement qualifié, à la suite de B. F. Skinner, d’’opérant’ ou de ’respondant’. Afin d’illustrer la pertinence de son concept, Skinner a mis au point des habitats à l’intérieur desquels les animaux de laboratoire, sujets privilégiés du béhavioriste, peuvent se voir délivrer une récompense (le renforçateur, ou le renforcement) conditionnellement à l’émission d’un certain type de comportement (appelé comportement opérant ou réponse). La ’cage de Skinner’, ainsi qu’a été baptisé cet habitat, peut abriter un ou plusieurs ’programmes de renforcement’ (’schedules of reinforcement’) : des dispositifs simples reliés à des boutons ou des leviers qui médiatisent le comportement opérant (ex : coups de bec pour un pigeon ; pressions pour un rat...) et permettent à l’animal de se procurer le renforçateur (un premier levier délivrant de la nourriture, un second de l’eau et un troisième une boisson sucrée, par exemple).

Le principe du conditionnement opérant est le suivant : lorsqu’un animal se voit délivrer un renforçateur positif à l’occasion de l’émission, par celui-ci, d’un certain type de comportement (choisi ’arbitrairement’ par l’expérimentateur142), on constate que ce comportement a tendance à se maintenir.143 On dit alors qu’il y a eu conditionnement opérant et que le comportement adopté par l’animal est une réponse ou un comportement conditionné (ou conditionnel).144 Les mécanismes du conditionnement opérant entendent, conformément à la philosophie béhavioriste, rendre compte du développement d’un système de comportements comme adaptation aux conditions du milieu. Ils concourent à donner l’initiative non pas au sujet (à l’organisme) mais à l’environnement, responsable du renforcement (en cas de ’récompense’) ou de l’inhibition (en cas de ’punition’) des comportements générés par l’organisme. Pour le béhavioriste, tous les comportements -humains ou non, complexes ou élémentaires- peuvent et doivent être redevables d’une explication dans les termes de la psychologie du conditionnement.

Notes
142.

Il pourra s’agir, pour un rat, de faire pression un nombre prédéterminé de fois sur un levier donné ou pour un pigeon de donner un coup de bec sur un disque lumineux. L’expérimentateur peut tout aussi bien attendre un mouvement quelconque de l’animal, et décider de le ’renforcer’.

143.

La logique du conditionnement opérant rend également compte des mécanismes d’inhibition de certains comportements soumis à des ’punitions’ environnementales. Le point demeure implicite afin d’éviter d’alourdir inutilement la présentation.

144.

Contrairement au conditionnement opérant, le conditionnement pavlovien ou classique (ou respondant, dans la terminologie de Skinner) repose sur une relation inconditionnelle -de type réflexe- entre une stimulation et une réponse inconditionnelles (ex : décharge électrique entraînant le retrait de la patte d’un chien) à laquelle se voit régulièrement associé un stimulus neutre (un son donné, par exemple). Le stimulus neutre et la réponse (ici, le retrait de la patte) deviennent conditionnels (ou conditionnés) lorsque la réponse intervient sur présentation du stimulus neutre en l’absence même du stimulus inconditionnel initial.