2.2.2. Le cadre expérimental du béhavioriste : le laboratoire

Le cadre expérimental traditionnel du béhavioriste a été l’occasion, pour le comportementalisme beckerien, de mettre en lumière la portée conceptuelle, d’une part, et empirique, d’autre part, de la théorie néo-classique. Sur le plan conceptuel, d’abord, les travaux de Batalio, Green, Kagel et Rachlin ont conduit à une transcription des problématiques du conditionnement opérant dans le langage de la théorie néo-classique. Ainsi l’animal confronté, dans une cage de Skinner, à deux programmes concurrents de renforcement peut-il être également appréhendé comme un consommateur ayant à faire face à deux biens, ou alternativement, comme un travailleur amené à partager son temps entre travailler (solliciter l’un ou l’autre des dispositifs) et se reposer (loisirs). La notion de ’prix’, qu’il s’agisse du prix des marchandises, ou du prix du travail, transparaît directement des contraintes environnementales (expérimentales) que doit surmonter l’animal afin d’obtenir le renforçateur désiré. En pratique, le prix se verra médiatisé, le plus souvent, par le nombre de pressions ou autres coups de bec que l’animal doit effectuer afin de se voir gratifier d’une dose donnée de renforçateur.

Cette conversion syntaxique, cette transcription, autorise une extension des problématiques et des potentialités de la théorie du conditionnement opérant. C’est que la théorie néo-classique invite l’expérimentateur à mettre l’accent sur l’interdépendance des variables et des comportements. Aussi les concepts d’élasticité, de substituabilité, d’arbitrage inter-temporel (...) font-ils leur apparition dans les laboratoires d’expérimentation.145 De surcroît, mobiliser l’hypothèse de rationalité, afin de rendre compte des comportements constatés dans le cadre expérimental traditionnel du béhavioriste, confère à la théorie du conditionnement opérant un déterminisme et, partant, une valeur prédictive accrue (Rachlin et al. [1981]). La perspective skinnérienne pêche en effet par son caractère excessivement général et ne saurait, en elle-même, prédire le comportement (ou le ’complexe comportemental’) que retiendra le sujet placé dans une configuration expérimentale donnée. Depuis l’avènement du comportementalisme beckerien, l’hypothèse de rationalité s’est imposée comme une alternative à la ’matching law’ de R. Herrnstein, suscitant une controverse de toute première importance.146

Le comportementalisme beckerien est aussi l’occasion de démontrer la portée empirique de la théorie néo-classique. Pour ne retenir que ces seuls auteurs, Batalio, Green, Kagel et Rachlin (Kagel et al. [1975, 1981]) ont placé des rats dans une cage de Skinner munie de deux leviers. Afin de simuler la contrainte de budget, ces animaux de laboratoire se voyaient offrir la possibilité d’exercer un nombre donné de pressions, à répartir entre les leviers concurrents (’concurrent schedules of reinforcement’). Pour chacun des deux programmes de renforcement, un nombre prédéterminé de pressions (un certain prix) permettait d’obtenir le renforçateur désiré. Après stabilisation du comportement des sujets, les expérimentateurs ont introduit un changement de prix compensé.147 Conformément aux prédictions traditionnelles du modèle néo-classique, ces expériences ont montré l’existence d’un effet de substitution. Par ailleurs, cet effet s’est trouvé plus ou moins marqué selon la nature des renforçateurs en concurrence, mettant ainsi en évidence des degrés distincts de substituabilité/complémentarité des biens ’achetés’.148

Notes
145.

Pour une présentation détaillée de cette transcription/extension de l’approche du conditionnement opérant au regard des concepts clés de la théorie néo-classique de la demande, cf. Hursh et Bauman [1987].

146.

Cf. Herrnstein [1961, 1970, 1990], Rachlin et al. [1981], Miller et al. [1990].

147.

La compensation intervient par une augmentation adéquate du nombre de pression que l’animal est en mesure d’exercer.

148.

Les effets de substitution apparaissent plus tranchés lorsque l’animal se voit proposer deux boisons sucrées que lorsque le choix doit être opéré entre de la nourriture et de l’eau, par exemple.