2.2.4. De la réalité expérimentale à la réalité écologique

L’hypothèse de rationalité a été introduite dans le cadre des expériences menées avec des animaux afin de d’’expliquer’ et de prédire leurs comportements. Dès lors, il n’est guère surprenant que cette hypothèse ait été appelée à remplir les mêmes fonctions pour des animaux placés, cette fois, dans leurs environnements écologiques. Aussi Green & Kagel [1987a, p. viii] peuvent-ils inclure une partie des recherches menées en éthologie dans leur propre caractérisation de la ’behavioral economics’ (du comportementalisme beckerien, selon nous). Ces travaux sont variés et déjà relativement nombreux. Ils appliquent le principe d’optimalité à des comportements tels que le déplacement des animaux dans leur quête de nourriture, les choix relatifs aux techniques de stockage (constitution de réserves centralisées ou disséminées...), les arbitrages quant à la diversité des aliments ingérés, les comportements de reproduction (etc.). Au-delà de la seule hypothèse de rationalité des comportements, ces modèles éthologiques s’inspirent parfois directement des modèles néo-classiques, notamment de la théorie des choix du consommateur.151

A bien y réfléchir, l’alliance, constitutive du comportementalisme beckerien, entre approche néo-classique/standard, béhaviorisme et, au-delà, éthologie ou même biologie évolutionniste152, résulte de synergies tout à fait évidentes. Le parallélisme, souvent souligné, entre la perspective béhavioriste et la théorie (darwinienne) de l’évolution est frappant (cf. Staddon [1980b]). Il tient en particulier au rôle actif que se voit attribué l’environnement, en tant qu’instance de sélection, dans chacune de ces approches. Ainsi, ce sont très largement les sanctions de l’environnement qui rendent compte des contingences de survie/extinction de comportements ou d’organismes dont, par ailleurs, la variation semble assurée aléatoirement. Béhaviorisme, éthologie et, plus encore, biologie évolutionniste instaurent autant d’éclairages substantiels du comportement. Bien que le point soit plus subtil, l’approche économique standard repose, dans une large mesure, sur ce même désir de rendre compte du comportement sans en envisager les vecteurs motivationnels et cognitifs.

A l’instar du béhavioriste ou du biologiste évolutionniste, l’économiste standard préfère donner le primat aux caractéristiques des situations-problème auxquelles l’organisme est censé se confronter.153 Mais c’est aussi en tant que les processus (externes) de sélection sont supposés conduire à une adaptation optimale des comportements que l’approche néo-classique/standard rejoint les perspectives béhavioristes et évolutionnistes. D’abord, une telle conception peut conforter le théoricien standard dans l’idée que son recours à l’hypothèse de rationalité est bel et bien fondé (cf. Becker [1987, p. 5]). Ensuite, l’introduction de considérations d’optimalité a très naturellement conduit un certain nombre de psychologues béhavioristes, d’éthologistes ou de biologistes a puiser dans les outils d’analyse dont les économistes (et en particulier les théoriciens néo-classiques) sont familiers, ouvrant ainsi la voie au comportementalisme beckerien.154

Notes
151.

Cf. Covich [1987] ou Staddon [1980] pour des illustrations.

152.

Dans la seule mesure où les caractères phénotypiques se voient ramenés à des déterminants génétiques...

153.

Rapprocher la perspective standard (en économie) du béhaviorisme, de l’éthologie ou de la biologie évolutionniste, peut constituer, de prime abord, une démarche surprenante. En effet, on ne peut manquer de remarquer que l’économiste standard semble, a priori, conférer un rôle extrêmement important au sujet, censé faire montre d’aptitudes et de prédispositions qui lui permettent de déterminer, consciemment et délibérément, la réponse optimale à sa situation-problème. Des ’préférences révélées’ aux subtilités méthodologiques de la thèse du ’comme si’, l’économiste standard se révèle bien, pourtant, désireux d’affirmer, avant tout, son penchant pour les éclairages externes, substantiels, du comportement. C’est pourquoi Lea et al. [1992, p. 2] sont fondés à remarquer : ’modern economic theory has a strongly behaviourist stance’, de même que Staddon [1980a, p. xvii], de façon plus générale, est fondé à préciser : ’The problem of the causal status of ’purposive’ explanations has surfaced independently in biology, economics and psychology. It is some confort to see that it has, by and large, received the same resolution : that rational behavior does not require reason’.

154.

On suspecte aisément que ce double mouvement peut susciter des croyances qui se renforcent mutuellement...