1.2.1. Les procédures compensatoires

La procédure compensatoire la plus communément évoquée est restituée dans le cadre du modèle dit de ’sommation linéaire (pondérée)’. Différentes variantes de ce modèle existent. Le plus souvent, il est fait l’hypothèse que le décideur attribue un coefficient de pondération à chacune des dimensions-critère utilisée, censé traduire à ses yeux leur importance relative. Chaque option se verrait alors affectée autant de valeurs qu’il y a de dimensions-critère actives : une valeur par dimension-critère. Comme pour l’ensemble des modèles multicritères, les valeurs assignées peuvent soit correspondre directement à une réalité physique (lorsqu’il s’agit, par exemple, de comparer des appartements au regard de leur superficie respective), soit renvoyer aux gradations d’une échelle de mesure subjective, ordinale ou cardinale (lorsqu’il s’agit, par exemple, d’apprécier ces mêmes appartements à l’aune de leur cachet respectif). Dans le cadre du modèle qui nous concerne ici, la valeur totale d’une option se présenterait comme la somme pondérée des différentes valeurs (cardinales) exprimées. Serait choisie (préférée) l’option qui, parmi toutes celles examinées, bénéficie de la valeur totale la plus élevée.

Ce modèle de sommation linéaire paraît, à l’évidence, celui qui se trouve être le plus proche des représentations économiques standards du choix. Il semble plus particulièrement compatible avec le modèle du consommateur suggéré par Lancaster [1966]. Bien que l’auteur se soit contenté de développements théoriques, sa perspective est porteuse d’un processus d’évaluation multicritères, puisque le consommateur ’lancasterien’ (contrairement à son homologue ’hicksien’) apprécie les différents biens (ou paniers de biens) en termes des ’caractéristiques’ qu’ils offrent. Deux points (notamment) permettent toutefois de distinguer l’approche lancasterienne des modèles multicritères d’inspiration plus psychologique, établis, quant à eux, dans une optique inductiviste/empiriste marquée. Il apparaît, d’une part, que ces derniers modèles revendiquent un espace d’application plus local : le décideur est réputé en mesure de recourir à des procédures de sommation linéaire lorsqu’il s’agit de départager un petit nombre d’options188. Loin donc l’idée que celui-ci pourrait appliquer de telles procédures aux fins d’arbitrages entre un nombre d’options pour ainsi dire illimité. Il ressort, d’autre part, que les coefficients de pondération sont considérés comme fixes. Or, le modèle de Lancaster fait appel à des taux marginaux de substitution décroissants entre les diverses caractéristiques (Earl [1990, p. 727]). Le modèle de sommation linéaire du psychologue se révèle donc nettement moins exigeant, du point de vue des aptitudes motivationnelles prêtées au décideur, que ne l’est son cousin de facture économique standard.

Le ’modèle de sommation des différences’ (’additive differences model’) est également souvent invoqué afin de décrire une procédure compensatoire qui, généralement, mais pas nécessairement, conduit le décideur à retenir des choix distincts de ceux qu’il adopterait au terme d’une procédure de sommation linéaire pondérée. Cette autre procédure compensatoire repose sur une série de comparaisons directes intervenant entre deux options : à chaque phase du processus, l’option préférée demeure en lice et se voit comparée à une autre option rivale. Le jeu de comparaisons prend fin lorsque l’ensemble des options initialement délimité par le décideur se trouve épuisé. Quant aux comparaisons en tant que telles, celles-ci procèdent sur la base d’évaluations réalisées dimension-critère par dimension-critère. A chaque étape, le décideur apprécie les écarts de valeur (positifs ou négatifs) qui séparent deux options rivales le long de chacune des dimensions-critère retenues. La sommation de ces différences permet de départager les options considérées.

Notes
188.

De manière plus précise, on considère généralement que le modèle de sommation linéaire n’est doté d’une portée descriptive que lorsque le nombre d’options est des plus restreints. Mais, à mesure qu’augmente le nombre d’options à évaluer, on concèdera le plus souvent, à l’instar de Hogarth [1987, p. 74], que les vertus descriptives du modèle se dégradent systématiquement. En effet, même si la portée prédictive du modèle compensatoire semble pouvoir être, jusqu’à un certain point, bien maintenue, sa pertinence explicative se détériore fortement.